Je me suis plongé hier dans le chapitre Vie & œuvre du livre Réjean Ducharme. Romans (Collection Quarto, Gallimard, 2022). Cette chronologie signée par Monique Bertrand et Monique Jean est passionnante, malgré un bouquin trop lourd (presque deux mille pages), à la reliure trop molle et aux caractères bien trop minuscules (il est aussi possible que la prescription de mes verres correcteurs ait besoin d’une mise à niveau). « Le monstre sacré », « le géant de la littérature », « l’écrivain invisible », « l’auteur fantôme », « l’insaisissable personnage » : voilà le genre de périphrases que vous aurez le bonheur de ne pas retrouver dans ces notes biographiques, dont on apprécie l’approche factuelle, sobre et documentée.
La vie de Ducharme forme un récit à la fois familier et plein de surprises ; Ducharme a tellement été scruté (de loin) par les paparazzis des lettres (et autres potineux en manque de sujet), qu’il est possible que le lecteur connaisse déjà les (des) grandes lignes de son existence. La nouveauté se retrouvera alors dans les détails, dans le quotidien et, surtout, dans les écrits intimes de Ducharme (lettres et journal). On développe vite de l’empathie pour le personnage, cet écrivain autodidacte, qui frappe très jeune un coup de circuit (ou peut-être devrais-je parler de tour du chapeau), mais qui veut avoir la paix, qui écrit avec compulsion, qui cherche à atteindre un absolu, qui souffre, pauvre, paumé, agité, intense, qui vit sur le fil du rasoir ou de fer ou sur le bord d’un précipice, en tout cas toujours sur le bord de quelque chose. Et on s’étonne de l’abondante correspondance : c’est pas possible les missives que les gens de lettres (hum) s’envoyaient l’un l’autre à une époque pourtant pas si lointaine.
L’aspect le moins intéressant de la biographie de Réjean Ducharme est la fixation des journalistes à briser son anonymat, les suspicions de canular, les conjectures récurrentes, lancinantes et inutiles au sujet de sa réalité, de son authenticité. Les autrices n’ont pas le choix d’en parler : le phénomène aura occupé une partie sa vie, hélas.
J’ai été amusé d’apprendre que Réjean Ducharme (qui ne tenait pas en place et déménageait sans cesse) a brièvement occupé en 1967 une chambre sur la rue Drolet — une adresse aujourd’hui disparue, devenue un petit parc — située à 300 mètres de notre (ma tendre moitié et moi) ancienne maison de l’avenue Laval. Puis, en 1968, un appartement à 700 mètres de là, sur l’avenue de l’Esplanade (lieu qu’on devine être le décor de l’Hiver de force).
Dans sa correspondance et ses cahiers, Ducharme l’angoissé a généreusement pratiqué les jérémiades, ce qui me console de ma propre propension à faire de même dans mon blogue. Sauf que monsieur était publié, lui. Et chez Gallimard en plus.
Comme tous les textes biographiques, ça finit mal. Beaucoup de cadavres dans la dernière partie (parents, amis, animaux domestiques), jusqu’à ce que, fort magané, le personnage principal meure à son tour.
La lecture de ce chapitre liminaire complétée, je n’ai pas pour projet de me lancer tête baissée dans l’intégrale de l’œuvre romanesque de Ducharme, que je n’ai fait que survoler dans ma pourtant pas pire longue vie de lecteur. J’ai le temps. Il n’y a pas le feu. Je sais maintenant que j’ai tous ses romans à portée de la main, dans un rayon de ma bibliothèque, en un seul volume. Je pourrai les parcourir à loisir, dans l’ordre ou dans le désordre, en tout ou en partie, ils resteront là, bien sages, disponibles, dans leurs pages nombreuses, sous leur reliure trop molle, avec leurs caractères bien trop minuscules.
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(En guise de post-scriptum pour les curieux : à la faveur d’une recherche dans le Web, je suis tombé sur l’ouvrage Présences de Ducharme (Éditions Nota bene, 2009), un collectif dont les chapitres Éditer Ducharme (de Roger Grenier des Éditions Gallimard) et Le fonds Réjean Ducharme (de Monique Ostiguy de Bibliothèque et Archives Canada), notamment, forment à mon avis un excellent complément à Vie & œuvre.)