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L’histoire commence le jour où vous avez eu la mauvaise idée de faire une
obole à cet organisme de charité. Il y avait eu une inondation ou un
tremblement de terre quelque part dans le monde et les images du journal
télévisé vous avaient ému. Répondant aux appels généralisés à la solidarité,
vous êtes sorti des sentiers battus de votre philanthropie habituelle ; des
humains au loin souffraient et vous avez pris sur vous de faire votre part
en participant à la campagne de financement organisée dans l’urgence par cette organisation caritative crédible et internationale, dont le nom connu ne
pouvait que vous inspirer confiance.
Or, sans le savoir, ce geste altruiste a déclenché une mécanique démoniaque
qui changera votre vie à jamais.
En vous délestant de quelques dollars tirés de votre carte bancaire au
bénéfice de cette cause, vous avez aussi fourni votre nom, votre adresse
postale, votre adresse de courriel et d’autres renseignements personnels en
apparence inoffensifs, mais qui permettaient de vous identifier, de
communiquer avec vous et de vous solliciter. Et de vous solliciter de nouveau. C’est exactement ce qu’entreprendra de faire cet organisme caritatif, en
plus de partager généreusement vos informations personnelles sans votre consentement avec
les membres d’un important cartel des bonnes œuvres.
C’est ainsi que vous vous êtes retrouvé inscrit de force dans des dizaines de listes de sollicitation. Vous recevez dorénavant un flux régulier de courrier postal et électronique provenant de fondations diverses et dont vous ne suspectiez pas même
l’existence. On vous salue par votre nom, on vous expose avec moult détails l’importance de sa cause, quelle qu’elle soit, et l’ampleur des besoins
pécuniaires afférents, on vous exhorte de donner des sous, on fait confiance
à votre sens civique et — surtout — à votre mauvaise conscience. Par la poste, on vous fait parvenir des enveloppes
bigarrées, boursouflées, bourrées de cossins offerts à
titre gracieux, et qui ne servent qu’à vous faire sentir redevable, qu’à vous
convaincre d’ouvrir votre portefeuille. On vous fait cadeau de cartes de
souhaits, de stylos de plastique, de petites étiquettes autocollantes sur
lesquelles est imprimée votre adresse, de calendriers, d’horribles sacs à
emplette réutilisables en nylon aux coloris douteux. On vous fait aussi le
coup de la pièce de cinq cents qu’on aperçoit dans l’enveloppe à travers une
petite fenêtre plastifiée. Toutes ces babioles laides et inutiles ne font
que vous déprimer ou vous mettre en colère et, surtout, vous enlèvent toute
envie de faire l’aumône ; elles finissent invariablement dans le recyclage
ou à la poubelle.
Vous aurez beau déménager, vous aurez beau demander de mettre votre adresse
sur la répertoire d’exclusion des publicités postales, vous aurez beau changer de
fournisseur de courriel, rien à faire, ces organisations charitables vous
pourchasseront, vous retrouveront et continueront à vous harceler et à vous demander de l’argent, encore et
toujours.
Arrivera ce moment où vous serez devenu vieux, où vous vous retrouverez seul
au monde dans le petit appartement d’une résidence pour personnes âgées. Le
temps sera lent et long, et vos journées seront remplies d’ennui et de vide. Ce sera alors avec gratitude que chaque jour ou presque, vous découvrirez dans votre
petite boîte aux lettres une nouvelle fournée de ces lettres balourdes,
remplies de présents insignifiants — des cartes de Noël ! des porte-clés ! des
blocs-notes promotionnels ! — que continueront de vous acheminer ces chers organismes de
bienfaisance, désormais vos seuls correspondants. Tout heureux qu’on pense
encore à vous, c’est avec émotion que vous mettrez au rebut la récolte du
jour, en vous gardant bien, il va sans dire, de faire le moindre don en
retour à ces organisations caritatives et ô combien tenaces.
Après votre mort, les locataires qui vous succéderont dans l’appartement 807 du foyer pour personnes âgées continueront de recevoir par la poste ces missives adressées à votre nom, et expédiées par le cartel des organismes de charité et leurs nombreux partenaires. Ce seront encore des générations de petits vieux qui, presque quotidiennement, jetteront en grommelant ces enveloppes de sollicitation à la poubelle en jurant ne jamais leur envoyer la moindre maudite cenne.