23 décembre 2022

Fragments par 5, numéro 52

(Source)




Sur simple pression d’un bouton, il est possible de produire un café de son choix dont l’appellation à la consonance italienne procure une aura de qualité : ristretto, espresso, americano, macchiato, latte, etc. La machine moud le grain avec fracas, chauffe et fait au besoin mousser le lait en vrombissant, infuse le café au son du grondement sourd de la pompe. Ça s’active tout seul selon une séquence programmée avec précision, ça fait beaucoup de bruit, des liquides s’écoulent dans la tasse suivant une chorégraphie algorithmique : voilà une merveille de la mécanique et de l’automatisation. En additionnant le prix d’acquisition de cet appareil, qui s’élève dans les quatre chiffres, aux frais annuels de mise au point semestrielle et des réparations périodiques requérant chaque fois une visite chez le concessionnaire, on obtient sur sa durée de vie une somme considérable.


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Ma blonde envoie des cartes de souhaits aux parents et aux amis pour Noël. Je remarque qu’elle a apposé sur le coin supérieur gauche des enveloppes ces petits autocollants sur lesquels sont imprimés notre adresse et qui lui ont été expédiés gracieusement par un organisme de charité par anticipation d’un don de sa part dans le cadre d’une autre de leurs campagnes perpétuelles de financement. Je lui demande :
— Est-ce que tu as utilisé les petits autocollants que tu as reçus de cette maudite fondation caritative et ce, même si tu t’es bien gardée de leur faire un don (comme de bien entendu) ?
— Bin quoi, elle me répond, c’est mieux de les utiliser que de les jeter aux vidanges.


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— Eh, salut ! Ça roule ?
— Bof.
— Ta femme va bien ?
— Bof.
— Et les enfants ?
— Bof.
— Tu travailles encore chez Hydra-Québec ?
— Bof.
— Et le tennis ? Toujours un passionné de tennis ?
— Bof.
— Je suis content de te voir, ça faisait longtemps.
—  Oui, moi aussi, je suis content.


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Au Canada, l’énergie déployée inutilement sur une base annuelle par les organisations de charité pour la production de toutes ces enveloppes remplies de paperasse de sollicitation et d’inutiles colifichets, ces missives qu’on jettera directement au rebut sans même décacheter l’enveloppe, représente environ le dixième de la production de la centrale Manic-5, selon les estimations du professeur Walter Ouate, de l’Université du Québec à St-Hyacinthe (UQASH).


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Lorsque le réparateur vous apprend après à peine deux ans d’utilisation que votre machine à café à trois mille dollars a développé des rhumatismes dus à l’accumulation de marc de café dans les jointures, que ses artères se sont bloquées à cause de concrétions de tartre, qu’une de ses valves aortiques est sur le point de céder, il y a lieu de se demander si ces affections sont l’effet du mauvais sort, si on est tombé sur un citron ou si le secteur des machines à café haut de gamme ne serait pas simplement une formidable arnaque.