13 juillet 2022

Foglia, proto-blogueur

[J’ai vu passer le nom de Foglia aujourd’hui dans Twitter et ça m’a rappelé ce brouillon de texte écrit en novembre dernier, mais que je n’avais finalement pas publié dans mon blogue. Après relecture, je me suis dit (en toute humilité) que ce n’était pas si mal, et qu’en cette période estivale de slow blogging (je viens d’inventer le concept), il n’était pas trop tard pour bien (?) faire.]



Marc-François Bernier, Foglia, l’insolent, Édito, 2015.


Je viens de terminer de lire un essai sur l’œuvre de Pierre Foglia — j’ai failli écrire Foglia tout court, comme on écrit Céline ou Martineau. Ça s’intitule Foglia l’insolent, c’est signé Marc-François Bernier et ça a été publié par Édito en 2015, soit quelques mois à peine après la parution de la dernière chronique de Foglia dans La Presse. Foglia est parti alors que La Presse vivait une époque charnière : l’application pour tablettes La Presse Plusse (1) existait depuis 2013 et la version en papier du journal allait disparaître au début de 2016. Tout ça est à la fois récent et si lointain, c’en est un peu troublant.

J’ai commencé à fréquenter Foglia quand j’ai appris à lire ; à lire le journal, disons. Je l’ai lu religieusement jusqu’à sa retraite, bien qu’il m’ait fait plus d’une fois rouler des yeux.

Foglia était un proto-blogueur : je me suis fait cette réflexion au moment de charger le bouquin sur ma tablette (vive le service de prêt numérique de BAnQ) ; alors que j’en termine la lecture, je suis conforté dans cette impression.

Au-delà de l’humeur et de l’opinion, Foglia s’est raconté et s’est mis en scène dans ses chroniques pendant plus de 40 ans. Chez lui, la chronique tenait souvent du carnet. Il était aussi beaucoup question de ses chats, ce qui, avouons-le, est vachement web-deux-point-zéro. Il a volontiers joué à l’influenceur, nous disant quoi lire, ce qui est certes généreux, mais il nous a aussi beaucoup dit quoi penser. Lorsqu’il pratiquait les gros mots, l’irrévérence, voire l’injure, Foglia faisait aussi un parfait troll (il avait d’ailleurs ses têtes de mot en T).

Quand j’ai été assez vieux pour comprendre, j’en suis venu à réagir au snobisme de Foglia, celui du gars qui se croit moralement au-dessus de son lecteur, celui du gars qui rejette par réflexe ce que le nombre — pas nécessairement une majorité, mais une masse critique, disons — apprécie. Foglia cultivait l’art d’être à contre-courant et d’être un électron libre, ce qui est de nos jours l’attitude normale (et attendue) du chroniqueur d’opinion, du polémiste, de l’antisystème.

J’ai pensé à Foglia pendant la pandémie. Je me suis rappelé sa haine des règlements et des délateurs. Je l’ai imaginé écrire une chronique vomissant la police du masque. Je me le suis aussi imaginé en antimasques, voire en antivaccin. Or, si cette pandémie a mis quelque chose en lumière, c’est bien que l’esprit critique n’est pas la même chose que l’esprit de contradiction (2). J’ai le souvenir que Foglia s’est adonné à ces deux disciplines avec le même zèle.

Dans les années 2000 et 2010, quand les journaux se sont mis à chercher une manière d’occuper le web, ils ont lancé une multitude de blogues signés par des personnalités et des semi-personnalités — des journalistes, des commentateurs, d’ex-politiciens, etc. Cyberpresse, le Huffington Post, le Devoir, le Journal de Montréal : tout le monde s’y est mis. Ma théorie est que cette abondance de blogueurs professionnels, et ensuite le bulldozer Facebook (ce succédané du web), ont fini par tuer la blogosphère et le concept même du blogue comme espace d’expression personnel, voire littéraire.

Foglia n’a jamais tenu de blogue, lui qui fustigeait (bien entendu) tout ce qui était technologique et numérique.

De nos jours, alors que l’actualité est partout et gratuite dans l’univers numérique, les journaux définissent leur personnalité par le biais de leur équipe de commentateurs. Résultat : il n’y a jamais autant eu de chroniqueurs dans les journaux (3). L’humeur et l’opinion sont si omniprésentes qu’on se demande quel espace pourrait aujourd’hui occuper un Foglia dans ce brouhaha.

Tout bien considéré, la fin de sa carrière est peut-être survenue au bon moment.


*


Notes :

(1) OK, c’est La Presse+, mais c’est plus fort que moi.

(2) Si je peux me permettre cet aparté, la pandémie a aussi rappelé que tout n’est pas qu’opinion, et que, à moins d’être une sommité, moult principes, disons, — je choisis au hasard — de biochimie et de statistiques ne peuvent pas sérieusement faire l’objet de débat.

(3) Évidemment, cette phrase à l’emporte-pièce n’est étayée par aucune donnée probante.