Deuxième partie par ici. Troisième partie (à venir) par là.
Pour mon anniversaire, un ami m’a fait cadeau d’un lot de livres, parmi lequel se trouvaient deux vieux Bob Morane. Les Bob Morane, c’était pour la blague, mais j’étais heureux d’ajouter ces volumes anciens sur les rayons de la bibliothèque du salon.
Je ne garde qu’un vague souvenir de Bob Morane ; je n’en garde aucun de la prose d’Henri Vernes que je n’ai pas revisitée depuis ma tendre enfance. Je me suis promis de me plonger dans un de ces deux titres, par curiosité, question de redécouvrir cet univers avec mes yeux d’aujourd’hui. Appelons ça la nostalgie de la nostalgie.
Jeune, je lisais de façon un peu boulimique, mais il ne me semble pas avoir beaucoup fréquenté Bob Morane. J’ai un vague souvenir des Crapauds, dont il existe toute une série ; si ma mémoire est bonne — elle ne l’est pas — je crois avoir lu Les Crapauds de la mort. Il me semble avoir aussi lu un ou deux épisodes de la série de l’Ombre Jaune. Tout ça est vague. Je retiens de ces lectures un certain exotisme, des coups dans le plexus solaire particulièrement efficaces pour mettre K.O. un ennemi et les cheveux en brosse du héros. Je me souviens aussi de Bill Ballantine et de son Zat 77, mais ça ne prouve rien. Quiconque connaît le Capitaine Haddock et le Loch Lomond n’est pas forcément un exégète de Tintin.
J’avais donc le choix entre Le masque de jade (1956) et L’homme aux dents d’or (1960), tous deux publiés dans la collection Marabout Junior. J’ai jeté mon dévolu sur le premier, et cela pour deux raisons : d’abord, parce qu’il est plus ancien, et ensuite parce que l’illustration de sa couverture est (un peu) moins répulsive que celle de l’autre volume. Et puis ce titre, Le masque de jade, évoque un exotisme qui me semblait en parfaite adéquation avec le genre.
Rappelons qu’Henri Vernes a publié entre 1953 et 2012 un nombre impressionnant de romans de Bob Morane, soit environ 230 (le nombre varie selon la source). La page Wikipedia Liste des romans de Bob Morane donne une idée du corpus. Il s’agit de romans écrits à la chaîne, Vernes en publiant plusieurs par année. J’ai donc ouvert les pages du Masque de jade sans grandes attentes quant à ses qualités littéraires. Par ailleurs, je m’y suis plongé en toute candeur, sans savoir au juste à quoi m’attendre.
Je vous propose dans cette série de trois textes quelques notes de lecture.
Notice bibliographique
Henri Vernes, Le masque de jade, Verviers (Belgique), Éditions Gérard et Cº, 1956, 155 p. (collection Marabout Junior).
L’objet
Le volume de format poche fait son âge. Le papier de qualité inférieure — épais, rugueux, non chloré — a pris une teinte ocre. Au dos, la colle de la reliure craque. Sur la page de garde, un nom a été inscrit au stylo à bille : François Laflèche. Insérée au hasard dans les pages, je découvre la carte professionnelle d’un acupuncteur de Saint-Hyacinthe, laquelle a peut-être été utilisée comme marque-page par un précédent lecteur. Je trouve aussi un mince feuillet publicitaire jauni de la Librairie Filles de Saint-Paul, affiliée à la congrégation du même nom. Depuis 1952, la société est à la fois une librairie et un éditeur de livres à caractère religieux (notons que la Librairie Filles de Saint-Paul s’est depuis transformée en deux succursales des Librairies Paulines, situées à Montréal et à Trois-Rivières). Le recto du feuillet propose un « Petit code de bonheur » et le verso, une liste de titres offerts, par exemple : L’épouse doit-elle obéissance à son mari ? à 50 cents, L’adolescence et ses problèmes à 2,50 $, Comtesse de Ségur (24 titres) à 80 cents l’unité et l’abonnement à VOIE, VERITE et VIE — revue religieuse et pédagogique - mensuelle à 1,50 $ pour un an. Cet énigmatique encart publicitaire semble aussi vieux que le roman.
La couverture de P. Joubert montre, dans un décor orientalisant, un Bob Morane en bedaine, les poignets et le cou coincés dans une cangue, qui toise le grand prêtre de la secte du Masque de Jade dont le visage est dissimulé, eh oui, derrière un masque de jade.
Le roman comporte 18 chapitres et est agrémenté — ? — de quatre illustrations de G. Forton.
Que l’aventure commence !
Sans grande mise en situation, dès les premières pages, on plonge dans l’aventure.
Bob Morane part en vacances au Cachemire. En quatre petits paragraphes, il a déjà rejoint la capitale Srinagar, s’y est installé et y a erré huit jours. Pour souligner l’exotisme des lieux, Vernes nous offre un rapide tour des environs en nous mitraillant d’adjectifs idoines : enneigés, vertigineux, vaste, capricieux, compliqué, tapissée, prisonnière, orientale, multicolores, lacustres, colorée, aquatiques, étroites, sculptés, encombrées, bigarré, bariolées.
À peine trois pages plus tard, Bob découvre par hasard chez un antiquaire une mystérieuse note manuscrite dissimulée dans une statuette. Ce message, qui ne laisse que peu de place au mystère, deviendra le point de départ de l’aventure :
« Pour l’amour du Ciel, venez à mon aide. Mon nom est Everet Anderson et je suis prisonnier dans Tsan-Chan, la ville du Masque de Jade. Pour y parvenir, franchissez la passe de Sin-La, puis celle de Tam-La, et traversez le désert de Shaggaï, vers le nord-est. Tsan-Chan se trouve située dans les Montagnes du Sang... Pour l’amour du Ciel, aidez-moi. Prévenez le capitaine Smyrne, à Srinagar... » (p. 9).
Peu après, Bob Morane rencontre Douglas Anderson, fils d’Evert Anderson, avec qui il partagera l’aventure. Douglas Anderson est de mère tibétaine et de père anglais. Il raconte lui-même ses origines en ces termes : « au cours de ses nombreux voyages et séjours en Asie mon père avait épousé une jeune Tibétaine, dont je suis le fils » (p. 28). Peut-être le lecteur d’aujourd’hui froncera-t-il les sourcils à la lecture de ce « jeune Tibétaine ». Jeune comment, se demande-t-on.
Tout au long du roman, le narrateur désigne le héros de diverses manières : Bob Morane, Morane, Bob ou le Français.
Pour son acolyte, ce sera : Douglas Anderson, Anderson, Doug ou « le sang-mêlé ». Peut-être de nos jours, écririons-nous plutôt métis ?