Suite de mes notes de lecture du roman Le masque de jade d’Henri Vernes. Retour à la première partie par ici.
Un roman d’aventures qui fait du sur-place
Pages après pages, on s’étonne que ce roman propose si peu d’action.
La narration patauge sans cesse dans l’évocation de faits passés, dans d’incessantes hypothèses ou dans l’explication de ce qui vient de survenir. On a l’impression que le narrateur décrit ce qui se passe dans le cerveau de Morane davantage que ce que le héros perçoit par ses yeux.
Ce zigonnage narratif se conjugue à tous les temps.
Au passé. On récapitule les grandes lignes de l’intrigue depuis ses débuts. On ressasse ou on explique les détails d’événements récents, qui viennent parfois tout juste de survenir. On regrette de ne pas avoir mené certaines actions.
Au présent. On se questionne à propos d’un fait mystérieux et on propose diverses explications pour l’élucider. On explique les motivations cachées d’un personnage.
Au conditionnel. On exprime les espoirs de résolution d’un problème et les raisons pour lesquelles ces événements heureux ne pourront pas survenir.
Au futur. On évoque les périls qui guettent Bob et Doug, ou d’autres personnages absents de l’action immédiate. On explique avec moult détails les plans qu’on fomente.
Tout cela en long en large et en épaisseur.
Vernes n’est manifestement pas un adepte du précepte Show, don’t tell. On a l’impression que les personnages sont prisonniers d’un labyrinthe et que le narrateur, pour les délivrer, essaie tous les chemins, tous les embranchements possibles. C’est pour le moins fastidieux.
Le récit progresse néanmoins, mais comme en une succession de vignettes collées les unes aux autres par de longs passages à vide pendant lesquels l’histoire piétine et les personnages errent, discutent et supputent inutilement.
Dans le pire des cas, ça donne une phase comme la suivante : « Plusieurs nouvelles minutes s’écoulèrent » (p. 13).
Ou alors ce passage au début du chapitre XI, lorsque Bob Morane et Douglas Anderson traversent le désert de Shaggaï et sont plus ou moins perdus. C’est alors que Bob laisse tomber : « Continuons à avancer, fit Morane. Après tout, comme vous le dites, Doug, nous finirons bien par arriver quelque part… » (p. 96).
Moments étranges
Avec ce rythme de publication, on imagine un Henri Vernes surmené et un éditeur complaisant. Toute la chaîne du livre est pressée de passer du manuscrit aux presses, des presses à la librairie, de la librairie aux profits. Forcément, on n’est pas trop regardant sur les invraisemblances et les raccourcis. On ne semble pas trop s’inquiéter de la qualité de la narration.
Pour preuve, voici quelques perles.
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Bob et Doug découvrent un « plan retraçant de façon précise la route à suivre pour atteindre Tsan-Chan » (p. 47), la ville dite du Masque de Jade, là où le père de Doug est prisonnier. Or, cette carte donne des indications qui ressemblent à l’itinéraire pour se rendre à la station-service la plus proche, spécifiant par exemple qu’il faut tourner « sur la droite à la sortie de la passe de Tam-La », et « emprunter le quatrième défilé sur la gauche ».
Pour ajouter aux difficultés de nos héros, Vernes choisit de faire disparaître la carte sitôt celle-ci en leur possession. Le méchant Su-Kai les surprend et, désirant protéger le secret du repaire de la société secrète du Masque de Jade, décide de détruire cet indice. Le narrateur fait alors s’acharner le méchant sur cette carte sur pas moins de deux pages.
« Su-Kai alla à la table, y prit la carte retraçant le chemin à suivre pour parvenir à Tsan-Chan et, à l’aide de ciseaux, la taillada en menus morceaux qu’il jeta au fond d’un brûle-parfum. Il dévissa alors le bec de la lampe et versa un peu de pétrole sur les débris du plan, pour y mettre le feu ensuite. Les morceaux de parchemin se consumèrent en dégageant une fumée âcre et nauséabonde de chair brûlée. » (p. 51).
Et plus tard : « Les débris de la carte étaient à présent complètement consumés. À l’aide d’un pilon de faïence, Su-Kai en écrasa les restes au fond du brûle-parfum, jusqu’à ce qu’ils ne fussent plus que cendres impalpables. » (p. 52).
Coudonc.
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Conseil d’écriture : ne tentez pas de créer le suspense en invoquant les probabilités.
« Au fond de lui-même, Bob ne se sentait guère aussi confiant, il s’en fallait de beaucoup. Le Masque de Jade pouvait se révéler trop coriace ; il y avait même quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que cela soit. » (p. 61).
Ça laisse quand même à Bob un gros 1 % de chance de succès. Quel suspense !
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Plus tard, en plein Tibet, un personnage s’avère d’origine anglaise. Cela est souligné d’étonnante façon : « L’inconnu avait parlé avec un accent britannique digne de la plus pure tradition du théâtre shakespearien, et c’était bien là la dernière chose à laquelle Morane s’attendit en un tel endroit. » (p. 110).
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Henri Vernes pratique un style qui, disons, ne fait pas dans la dentelle. Poussant sur une statue de Bouddha pour la faire basculer, Bob déploie toute sa force en une étrange séquence alliant métaphore et description de phénomènes physiologiques.
« Les veines du front saillant à éclater, le visage luisant de sueur, les muscles tendus à se rompre, Bob continua à pousser. Un de ces efforts qui brisent un organisme quand l’obstacle résiste.
« Il sembla à Bob que ses tempes allient se déchirer ; ses oreilles s’étaient mises à bourdonner et un voile sanglant descendit devant ses yeux, tant l’énergie dépensée était intense. » (p. 87).
Je me permets de confirmer que les efforts de Morane ne furent pas vains.
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Le grand prêtre, qui est en quelque sorte le chef des méchants, est appelé le Masque de Jade. Voulant peut-être souligner la nature terrifiante du personnage, Vernes se fend d’une description pour le moins loufoque lorsque celui-ci s’esclaffe.
« Le rire du Masque de Jade éclata. Un rire parfaitement au point, bien rodé, où pas un son ne résonnait plus haut ou plus bas que le son précédent. » (p. 118).
Comprends qui peut.
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Pour terminer ce florilège, une comparaison d’inspiration extraterrestre : « Si Morane avait été transporté soudain à la surface d’une lointaine planète, il n’eût pas été surpris davantage. » (p. 140).
Bob Morane est coquet
Bob est coquet en toutes occasions.
« Un rai de lumière, s’insinuant sous la toile servant de tente, réveilla Bob Morane. Il se dressa dans son sac de couchage, se frotta les yeux et, par trois fois, passa les doigts de sa main droite dans la brosse de ses cheveux. » (p. 77).
À moins qu’il ne s’agisse d’un tic ?