[Retourner à l’index de la saison 3.]
(En vidéoconférence avec Marie-Saturne, cliente, vedette et maîtresse.)
— Mon chum est au centre de
dépistage pour se faire tester. Un de ses amis a attrapé la covid. Il en a pour
un bon deux ou trois heures à faire la file. On peut jaser tranquille : mon
chat ne nous dénoncera pas. Ha ! Ha !
— Ça te tente pas d’aller à l’hôtel vite fait ?
— Es-tu fou. Pas question. Je sors pas de chez nous. En plus, je suis
peut-être contaminée à cause de mon chum.
— OK, OK. On va pratiquer la distanciation numérique. À part ça, quoi de neuf ?
— La production a arrêté le tournage de notre série. J’ai passé l’automne à
faire des champs contrechamps avec des mannequins pis à frencher des panneaux
de plexiglas. C’était bizarre, mais au moins, je travaillais. Cette semaine,
il y a eu deux cas dans l’équipe et ils ont tout stoppé.
— Sais-tu quand ça va reprendre ?
— Non. Remarque, on tourne dans des décors en intérieur, on pourra recommencer
n’importe quand l’an prochain, ça ne posera pas de problème de raccord. Tant
que je ne prends pas trop de poids, disons. Aussi, je suis la tête d’affiche
dans un show en janvier, mais c’est loin d’être sûr que les théâtres vous
pouvoir rouvrir.
— En janvier ? C’est quoi la pièce ?
— Un Tchekhov. Les trois sœurs.
— Encore un Tchekhov !
— Faque pour le moment, je me retrouve sur le chômage.
— Te connaissant, tu dois trouver le temps long à tourner dans ton condo.
— Mets-en. Mes amis se sont tous mis à la musique ou à l’humour, ou bien ils
se patentent des webséries ou des balados, ou bien ils écrivent des romans.
— Oui, j’ai remarqué une recrudescence de livres écrits par des artistes au
chômage.
— Justement, j’ai décidé de me lancer dans l’écriture de mon autobiographie.
— Hein ?
— Il y a deux ans, tu avais réussi à me convaincre de l’impact qu’une
autobiographie pourrait avoir sur ma carrière et sur mon image. Après notre
tentative avortée…
— Avant que nous nous rendions à l’avortement, encore aurait-il fallu qu’il y
ait conception. J’ai à peine réussi à écrire trois pages que tu tirais déjà la
plogue.
— Ça prenait trop de temps. J’avais pas le goût de te raconter ma vie. Tu
produisais pas assez vite. Il aurait fallu que tu m’arrives avec un livre clé
en main.
— Bin oui, toi. Une biographie inventée de toute pièce.
— Prends-le pas personnel. J’étais pas prête à m’investir à ce moment-là.
Voilà qu’avec la pandémie, j’ai du temps. C’est une occasion de faire
fonctionner mon muscle de la création et de me réinventer.
— Te réinventer. Pourquoi pas. C’est ton autobiographie, après tout. Où t’en
es rendue ?
— Ça avance bien. J’ai une vingtaine de chapitres de pondus. J’ai même un
contrat avec un éditeur.
— Quoi ?
— Il a lu les dix premières pages et il a déclaré qu’avec un peu d’édition, ce
serait parfait. Il a parlé de best-seller. Il m’a même versé une avance.
— J’ai mon voyage.
— Pis toi, ton manuscrit ?
— Moi ? Euh. Abandonné pour de bon. Et s’il te plaît, je ne veux plus en
entendre parler.
— Bon. Comme tu veux. C’est dommage, quand même.
— Bof.
— Hum.
— Euh, ça te tente pas de te détendre un peu ? On pourrait chacun s’ouvrir une
bouteille de vin et, euh, je pourrais te dire des choses cochonnes et tu
pourrais me faire un petit strip-tease…
— Quoi ?
— Tu me manques. Pourquoi on se ferait pas une séance de sexe à distance ?
— Ça va pas ? Imagine si un pirate réussissait à faire une copie d’écran. Je
ne peux pas prendre le risque qu’une image intime de moi — encore moins une
vidéo — puisse fuiter. Ma carrière serait finie.
— Je tiens à te rappeler que tu es à moitié nue dans tous tes films.
— C’est pas pareil. De toute façon, ce genre de truc ne m’excite pas du tout.
J’ai zéro envie de jouer à l’actrice porno pour toi. Désolé, mais c’est non.
— OK, OK, je n’insiste pas.
— J’en reviens pas que tu me proposes ça.
— C’est beau, j’en parle plus. À la place, on pourrait se faire une partie de
bataille navale : j’ai découvert un plug-in qui permet de jouer l’un contre
l’autre par vidéoconférence.
— Sais-tu, j’ai une brassée à faire. Pis un chapitre de mon autobiographie à
terminer.
— Bon, je te laisse. Faut que tu te dépêches, ton éditeur va s’impatienter.
— Écoute, dès que le variant Omicron se calme, on se voit, promis. Tu me
manques aussi. Ça me fait penser : il faut que je t’envoie mes plus récents
papiers, pour ma comptabilité.
— Tiguidou. Envoie-moi ça. Tu sais que je suis toujours là pour toi. Et tu
diras bonjour à ton chum de ma part.