(Au téléphone avec sa mère.)
— Pis, m’man, tu l’as-tu reçu
?
— Oui, il est arrivé hier. La factrice est venu avec son gros camion rouge,
elle a sonné à la porte et elle m’a donné la boîte. Ton père était dedans.
— Super. Rien de brisé ?
— Non, tu l’avais bien emballé.
— J’avais mis du papier bulle, au cas où.
— Je l’ai installé dans la chambre, sur ma table de chevet. Comme ça, je
peux lui dire bonne nuit quand je ferme la lumière.
— Je suis content d’entendre ça. Comme je te disais, c’était une fausse
bonne idée que je garde ses cendres chez nous. Il est bien mieux avec toi.
Sinon, quoi de neuf à Saint-Gédéon ?
— Ah, pas grand chose. Il y a eu un party de Noël avec le Club de l’Âge
d’Or. Ils ont servi un souper traditionnel — dinde, gravy, atocas en canne,
patates pilées. Après, comme il pouvait pas y avoir de danse à cause de la
maudite covid, on a fait un bingo à la place. C’était le fun pareil. J’ai
gagné un Rocher Percé brodé monté dans un cadre en faux bois. C’est très
laid pis j’ai plus de place sur mes murs. Je sais pas quoi en faire.
— Mets-le au chemin.
— C’est un peu gênant parce que c’est l’œuvre de la voisine d’en face,
madame Gagnon. Elle fait de la broderie naïve.
— Mets-le dans un sac noir, mets le sac noirs dans ta poubelle.
— Pour le moment, je l’ai caché dans le débarras, au sous-sol.
— À part de ça ?
— Ta tante Laure m’a raconté que ta cousine Louise s’est séparée de son
grand innocent, le fameux Vincent.
— Je pense que je me rappelle du Vincent. Une grande gueule qui en mène
large.
— Ouin, c’est pas mal lui, ça. Bin, imagine-toi donc que le Vincent, il
s’est fait pincer par le fisc. Sa grosse compagnie, sa grosse maison pis sa
grosse auto, c’était toute du vent. Mettons que le conte de fée de ta
cousine s’est effondré comme un château de carte. Elle est partie avec les
deux enfants pis une dette dans les six chiffres.
— Méchante drop.
— Ta tante Laure est inconsolable.
— Je comprends.
— Sinon, avec les nouvelles restrictions, ça va être tranquille pour le jour
de l’an. Dimanche, je vais dîner au Goofy à Alma avec ta tante Denise pis
ton oncle Denis. T’es sûr que tu veux pas venir faire ton tour pendant le
temps des fêtes ?
— Non, j’ai trop de travail. De toute façon, mon auto est au garage. Pis
avec l’histoire du nouveau variant, j’aime mieux ne pas prendre de chance.
— C’est dommage, mais je comprends. Tu travailles toujours de la maison ?
— Oui. Je sors presque plus. Tout se passe à l’écran de l’ordinateur. Mes
clients sont devenus des personnages de téléroman. Un téléroman interactif,
mettons.
— Sinon, tu fais quoi pour te désennuyer ? Ton manuscrit de roman ? Comment
ça avance ?
— Hein ? Non, non, c’est fini, ça. Abandonné. Kapout. Il n’y en a plus, de
manuscrit. Il ne faut plus me parler de ça. Jamais.
— Dommage, ça avait l’air important pour toi.
— Ça ne l’est plus.
— Bon. J’imagine qu’avec la pandémie, tu t’es toujours pas fait de petite
blonde ?
— M’man, commence pas.
— OK, j’insiste pas.
— Je sors presque plus. Penses-tu que je vais rencontrer la femme de ma vie
au supermarché, à deux mètres de distance, un masque dans la face ?
— Pauvre petit. À l’âge que t’es rendu, ça a bin l’air que je n’aurai jamais
la chance de tenir ma petite-fille ou mon petit-fils dans mes bras avant de
mourir.
— (Soupir.)