Hier, en fin d’après-midi, je suis sorti faire un petit jogging. Une fine
neige tombait. L’air était chargé d’un doux smog de particules fines. « Il
faut accepter de s’empoisonner pour se mettre en forme », me suis-je dit, en
reniflant l’odeur de plastique brûlé qui s’échappait de la cheminée de la voisine d’en face.
Il y avait juste assez de neige dans les rues pour que mes pas glissent un peu
et que ceux-ci, malgré mes efforts, me fassent avancer au ralenti. Lesté de la
tourtière et de la dinde des derniers jours, je n’avais d’autre ambition que
de faire la version courte de mon circuit habituel dans les rues du quartier,
en espérant ne pas mourir d’un infarctus.
La pénombre s’installait peu à peu. Sur le chemin du retour, je ne me trouvais
plus qu’à deux cents mètres de la maison lorsque, perdu dans la lune, j’ai à
peine aperçu, de l’autre côté de la rue, ce couple avec une poussette qui se
promenait. Soudain, surgi de nulle part, un hideux petit boxer est apparu dans
mes pattes, jappant comme si j’avais tenté de lui voler son nonosse. J’ai
failli faire une crise cardiaque. Ce tonitruant mini-bouledogue allait-il me
croquer le mollet ? Poursuivant mon chemin, et sans doute inspiré par la messe
de minuit télévisée de la veille, j’ai rétorqué aux jappements de l’avorton
par un chapelet de mots d’église, tels que le mot en H (hostie), le mot en T
(tabarnac) et au moins deux mots en C (ciboire et calice). Je lui ai aussi
suggéré de se taire (Ta yeule ti-christ). Le molosse miniature s’est enfin
éloigné. Me retournant, je l’ai vu rejoindre le couple que je venais de
croiser. L’homme m’a envoyé la main pour m’apaiser ou peut-être pour excuser
son dégénéré de clébard, et c’est bien parce que j’avais des mitaines, parce
que je lui aurais répondu en brandissant mon majeur.
Sachez que dans le voisinage, les gens sortent volontiers leur chien sans les
mettre en laisse. C’est que par ici, bien entendu et contrairement à d’autres
contrées moins civilisées, les toutous possèdent tous un caractère avenant et
un comportement irréprochable. La laisse constitue un accessoire de soumission
et de torture animale incompatible avec la qualité de la gent canine locale.
Je m’étais promis de profiter des vacances des fêtes pour finir en beauté mon
année de course à pied. Aujourd’hui, c’est décidé, je vais en ville m’acheter
un masque à oxygène et un AK-47.