28 novembre 2021

Boucane d’hiver

Après quelques tentatives avortées cette semaine, l’hiver a fini par s’installer. Le couvert neigeux n’est pas épais, mais le décor se donne des airs de photo de calendrier, celle de la page de décembre, avec tout ce blanc sur le sol, tout ce bleu dans le ciel et la neige en suspension sur les bras allongés des cèdres. C’est un dimanche de froid (relatif) et de soleil. On y croirait presque. Ça ne durera qu’un temps et ça fondra avant Noël. Comme chaque année ou presque.

Avec le froid, la cheminée de la voisine d’en face s’est remise à cracher de la boucane. La voisine d’en face est une vieille femme que je devine frileuse. Son chalet souffre sans doute aussi d’une isolation rudimentaire (comme le nôtre, du reste). Selon mes estimations, la voisine d’en face produit annuellement autant de gaz à effet de serre que l’ensemble du parc automobile du canton. En septembre, elle se fait livrer ses cordes de bois qu’elle range dans son appentis. Dès que la température extérieure baisse en deçà des cinq degrés, on perçoit les émanations de fumée grise et l’odeur de bois brûlé. Ça continue comme ça sans discontinuer tout l’hiver, jusqu’à tard au printemps.

Nous avons aussi un foyer. Chaque fois qu’on allume un feu, s’installe dans le chalet une atmosphère apaisante doublée d’un parfum de mauvaise conscience. Nous ajoutons des bûches dans l’âtre en actualisant notre bilan carbone. Nous grignotons avec frugalité la corde de bois léguée par l’ancien propriétaire, que je désespère de voir un jour disparaître. Mais je suis parfaitement conscient que cette masse de bois représente sans doute l’équivalent des émissions de dioxyde de carbone d’un pays comme le Danemark.

D’aucuns idéalisent la vie en région : la pureté des grands espaces, le terroir, la communion avec la nature, tout ça. Je peux pourtant témoigner que certaines journées d’hiver, la rue principale se voit couverte d’un smog invisible qui embaume le vieux cendrier.

Je suppose que le jour où on aura réglé le cas des industries lourdes, du transport, des mines, et de tous les autres grands pollueurs, le jour où sur les chemins du canton ne roulera plus aucun de ces immenses pick-up, il faudra bien s’attaquer aux chalets mal isolés et aux foyers au bois. En attendant, on continue à faire brûler notre mauvaise conscience avec parcimonie en jetant des coups d’œil réprobateur à la cheminée de la voisine d’en face.