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C’est le mois d’août, la canicule s’étire et l’été s’achève. Le cycle des nouvelles est au plus lent et les médias cherchent désespérément du contenu pour alimenter leurs fils de nouvelles. Heureusement, comme chaque année à la même date, ils peuvent compter sur ce merveilleux marronnier qu’est la rentrée littéraire. Déjà, vous entendez gronder au loin le tsunami des nouveautés d’automne en redoutant de devoir subir le boniment habituel.
Pour vous aider à vous retrouver dans ce raz-de-marée de contenu journalistique plus ou moins préfabriqué, nous vous proposons ce bref inventaire des lieux communs de la rentrée littéraire.
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AGENCE FRANCE PRESSE (AFP). L’AFP pond un unique article au sujet de la rentrée littéraire française et en inonde la francophonie avec une vision uniformisée qui met les projecteurs sur quelques auteurs et maisons d’édition. Cette année, l’article s’intitule En France, une rentrée littéraire marquée par le poids de l’Histoire. Publié par exemple dans Liberté Algérie et Le Soleil. L’autre jour, dans Twitter, @amaisetti, @gvissac et @joachimsene s’en amusaient (ou plutôt s’en désespéraient).
Le poids de l’histoire se vend au kilo https://t.co/X1BcX5XDLP // https://t.co/07JmzYsJNl // https://t.co/Jlw88p9Fw7 // https://t.co/N3RaDKOWZV // https://t.co/9buhPNi2aG //
— Arnaud Maïsetti (@amaisetti) August 18, 2021
AUTOFICTION. Encore cette année — encore cette décennie —, la rentrée démontre la toute-puissance de l’autofiction. Récit ou roman ? Peu importe : on veut du croustillant et du traumatisme. Le roman idéal ressemble à un journal à potins écrit à la première personne. Et si une star de la littérature compromet une personnalité dans son « roman », c’est le succès assuré. Voir CONTROVERSE et PATRONYME.
CŒUR. La rentrée littéraire est beaucoup affaire de coups de cœur. Comment faire le tri parmi tous ces titres à paraître ? Le chroniqueur littéraire, qui n’en a encore lu aucun, peut déjà vous faire part de ses coups de cœur, choisis au hasard, en se basant sur « la rumeur » venue d’outre-Atlantique ou, plus simplement, parce qu’il reconnaît le nom de l’auteur. Voir PATRONYME.
CONFINEMENT. La pandémie a inspiré les Grands Auteurs et leur a insufflé une formidable productivité ; on accueille leurs nouveautés avec déférence. Par ailleurs, on n’oublie pas de souligner que les pauvres éditeurs sont submergés de « manuscrits de confinement » qui ne sont pas l’oeuvre de Grands Auteurs et qui sont par conséquent tous plus médiocres les uns que les autres.
#Communiqué Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous vous demandons de surseoir à l’envoi des manuscrits. Prenez soin de vous et toujours bonnes lectures à tous 📚🙌
— Gallimard (@Gallimard) April 2, 2021
CONTROVERSE. C’est la clé du succès en littérature, le truc de marketing par excellence. « Voilà un livre qui va faire jaser ».
FORMULES. On ne lésine pas sur les formules convenues. « Une rentrée littéraire sous le signe de » ; « Les livres à ne pas manquer » ; « Les grandes tendances de la rentrée littéraire » ; « Les livres les plus attendus de la rentrée ». C’est simple, d’une année à l’autre, il ne s’agit que de changer quelques mots pour actualiser la couverture de la rentrée littéraire.
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« Les grandes tendances de la rentrée » |
HISTOIRE. Comment titiller la lectrice et le lecteur à la recherche de la perle parmi les incontournables de la rentrée ? Il s’agit de rédiger de brefs résumés en multipliant les phrases débutant par « c’est l’histoire de ». La rentrée du Reader's Digest, en quelque sorte.
NOMBRE. Il est de bon ton de mentionner le nombre de nouveautés à paraître à la rentrée — en 2021, en France, c’est « plus de 500 » selon l’AFP — comme si cela représentait une mesure de l’état de santé de la littérature. Le nombre est si grand que ça sert d’excuse pour ne parler partout que des mêmes 10 ou 20 titres.
NOTHOMB. Amélie Nothomb incarne la rentrée littéraire. Elle cumule presque tous les lieux communs de cette liste. C’est vraiment trop injuste pour les autres auteurs vedettes.
PATRONYME. À la rentrée littéraire, on aspire à ce que les autrices et les auteurs — c’est étymologique — fassent autorité. On ne lit pas tant un livre que la personne qui l’a écrit. « Le dernier Unetelle ». « Le nouveau Untel ». Certains bandeaux publicitaires apposés sur les livres répéteront le nom de l’auteur, comme s’il s’agissait d’un prix littéraire (voir PRIX).
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Cette manchette combine NOMBRE et PATRONYME |
PRIX. La rentrée est aussi affaire de prix. Pas tellement ceux qu’on décernera au courant de l’automne — il est encore trop tôt pour parler de cela à la rentrée —, mais de ceux que les auteurs ont déjà derrière la cravate. Des bandeaux publicitaires apposés sur les livres vous le diront en grosses lettres. Un auteur primé, ça n’a pas de prix.
PROPHÉTIE. Tout auteur connu publiant un livre qui traite de l’actualité ou d’un sujet dans l’air du temps sera qualifié de clairvoyant. Cette année par exemple, l’auteur d’un livre dans lequel il est question de virus ou de contagion n’a qu’à prétendre que son manuscrit a été déposé à son éditeur avant le début de la pandémie pour passer pour un futurologue de génie.
SINGULARITÉ. Devant l’amoncellement des livres de la rentrée, le chroniqueur littéraire cherche la singularité. « Une voix singulière ». « Un regard singulier ». Sachez qu’en règle générale, c’est de la singularité que naît l’ovni littéraire.
VÉCU. Le vécu est la pierre angulaire de l’autofiction. Pour devenir un roman et susciter l’intérêt, le vécu doit cependant être singulier. Voir AUTOFICTION et SINGULARITÉ.