Les écrivains, si on les laisse écrire sur eux-mêmes, s’inventent un monde arrangé avec le gars des vues. Les décors, l’éclairage, l’action, tout est fabriqué, tout se conforme à une longue tradition et à des codes bien précis. Ainsi les écrivains prétendront-ils :
- conserver de vieilles photos dans des boîtes à chaussures ;
- se rappeler avec précision des événements de leur enfance dès l’âge de deux ans ;
- déambuler dans les bois en nommant toutes les plantes par leur petit nom ;
- tomber sur des animaux sauvages rares chaque fois qu’ils mettent les pieds en forêt ;
- avoir un caractère solitaire et introverti — puisqu’ils passent leurs journées à écrire —, mais relateront aussi mille et une histoires dans lesquelles ils font la conversation et vivent des aventures avec de purs inconnus ;
- écrire à la plume dans des carnets et consulter des dictionnaires en papier ;
- vous expliquer avec passion que les rouages arbitraires et parfois absurdes de la langue française constituent autant de preuve de son génie ;
- citer avec nonchalance, de mémoire des classiques de la littérature — le plus souvent Moby Dick ou Le vieil homme et la mer, Proust ou Cervantès ;
- manier avec autant d’habileté l’imparfait du subjonctif que la scie à chaîne ;
- avoir lu la Flore laurentienne comme d’autres On a marché sur la Lune ou Maria Chapdelaine.
Les écrivains inventent. C’est leur métier. N’allez pas croire tout ce qu’ils racontent, même — et surtout — lorsqu’ils écrivent à la première personne. Ce sont des vendeurs de chars qui embellissent leur vie. Ce sont des enfants fragiles qui mentent pour se rendre intéressants.