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(Source: Wikimedia) |
C’est un tweet de @ljodoin qui a provoqué quelque chose dans mon cerveau. Le gazouillis montrait une définition du mot poutine qui datait de 1930 et qui proposait deux significations : (1) synonyme de pouding et (2) au figuré, personne grasse et ronde.
J’ai soudain pris conscience que l’existence du mot poutine était sans doute bien antérieure à l’invention de l’anomalie culinaire québécoise du même nom consistant à mettre sur des frites du fromage en grain et de napper le tout de sauce brune.
Poutine égale pouding ? Ça semblait évident, tout à coup.
Mettant à profit le fonds numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) — ce trésor national — j’ai eu envie de découvrir depuis quand le mot poutine est utilisé au Québec. Disons qu’au départ, je ne croyais pas y passer autant de temps… Ainsi ai-je suivi le mot poutine dans les journaux et périodiques à travers une partie de l’histoire du Québec. En cours de route, ma question de départ — depuis quand ce mot est-il utilisé ? — a évolué pour devenir : depuis quand ce mot désigne-t-il le truc gras et gluant que d’aucuns prétendent comestible ?
Ce billet documente le résultat de mes recherches.
Mise en garde
Avant tout, quelques avertissements.
Je ne suis pas linguiste, lexicographe ou historien. J’ai quand même mis dans ce projet récréatif une bonne dose de rigueur (et plusieurs heures).
La source principale de cette recherche est le corpus des journaux et revues du fonds numérique de BAnQ. J’ai utilisé l’outil de recherche en texte libre offert, lequel est évidemment limité par la qualité des algorithmes de reconnaissance des caractères utilisés. Selon mon expérience, l’outil semble très imparfait; de très nombreux poulains ont été algorithmiquement transformés en autant de poutines. Idem de moult Pontiac et Raspoutine. Ainsi, suis-je sans doute passé à coté de sources intéressantes.
J’ai volontairement ignoré les références aux poutines râpées ou à trou acadiennes, qui n’étaient pas le sujet de ma recherche.
On comprendra par ailleurs que ce travail ne prétend à aucune espèce d’exhaustivité ou de valeur scientifique.
Enfin, à part la photo de la poutine au début de ce billet, toutes les images sont tirées des sources consultées dans le fonds numérique de BAnQ.
Significations passées et présentes du mot poutine au Québec
Mes recherches m’ont permis de répertorier les sens suivants du mot poutine.
- Préparation culinaire sucrée à base de mie de pain ou de pâte. Synonyme de pouding. Ex. : poutine au pain.
- En cuisine, pâte bouillie. Un exemple spécifique seraient les grands-pères.
- Grosse femme. Bien que cette définition apparaisse dans le glossaire du Parler français au Canada (1927), je n’ai trouvé aucun exemple explicite de cet usage.
- Au figuré, comme le propose Usito : « Ensemble d’éléments hétéroclites, d’affaires compliquées, ou d’opérations parfois fastidieuses. »
- Alcool de fabrication clandestine, synonyme de bagosse.
- « Mets à base de frites garnies de fromage en grains et nappées de sauce brune. » (Usito)
Selon mon expérience et les références citées à la section suivante, aujourd'hui, seuls les sens 4 et 6 sont encore répandus au Québec.
Quelques références
L’excellent dictionnaire Usito de l’Université de Sherbrooke définit poutine comme suit :
- (Dans la cuisine québécoise) Mets à base de frites garnies de fromage en grains et nappées de sauce brune.
- Fig. et fam. Ensemble d’éléments hétéroclites, d’affaires compliquées, ou d’opérations parfois fastidieuses.
Antidote (que je cite probablement ici en contravention de la licence d’utilisation) définit poutine comme suit :
- Cuisine, Québec – Frites garnies de fromage en grains et d’une sauce brune.
- Cuisine, Acadie, Québec – Boulettes de pâtes cuites dans un liquide bouillant. Mettre des poutines dans un ragoût.
- Québec – Affaire ardue, compliquée. Je comprends rien dans cette poutine-là.
- Québec – Grosse femme.
Le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécoise la langue française se limite à cette définition :
- Mets de restauration rapide fait d’une portion de pommes de terre frites agrémentées de fromage en grains et arrosées d'une sauce chaude.
On peut aussi consulter l’entrée poutine dans Wikipedia.
J’ajoute ici la référence à un livre, largement utilisé dans l’article Wikipedia et ce, malgré que son titre — saluons en cela l’honnêteté de l’auteur — comporte le mot approximative. Livre que je n’ai pas lu, mais que j’ajoute illico à ma liste de lecture :
Charles-Alexandre Théorêt, Maudite pourtine ! L’histoire approximative d’un plat populaire, Héliotrope, 2007.
Exemples historiques choisis d’utilisation du mot poutine
1848 : Une poutine française ?
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3456374
Le Canadien (« Nos institutions, notre langue et nos lois ! ») est un journal publié à Québec à diverses périodes entre 1806 et 1909, et notamment de 1831 à 1909. « Le Canadien se publie trois fois par semaine, le LUNDI, le MERCREDI et le VENDREDI dans l’après-midi. »
Dans l’édition du 5 janvier 1848 de ce journal se trouve la référence la plus ancienne que j’aie trouvée du mot poutine. Dans une rubrique intitulée Correspondance parisienne du Canadien, on rapporte de Paris une assez longue liste d’affaires judiciaires. (On est en droit de se demander en quoi ces faits divers d’outre-atlantique pouvaient intéresser le Canadien français de 1848 assez lettré pour se payer le journal. Passons.)
On y rapporte entre autres l’histoire de la jeune Hortense Lahouse (ou Lahousse, les deux orthographes étant utilisées dans l’article), accusée du meurtre de ses parents.
« Il est rare de voir une précocité aussi invétérée dans le crime, et le procès d’Hortense Lahouse est assurément l’un des plus horribles comme l’un des plus inexplicables qui ait été porté devant la justice.
Le 20 mai 1847, Joseph Lahousse, tailleur, Napoléonne Bremart, sa femme, et Eliza, leur fille âgée de 7 ans, furent pris de violentes coliques après avoir mangé à leur souper une poutine de raisins achetée et préparée par Hortense leur fille et qui n’avait alors que 15 ans. Le père mourut le 5 juin et la mère rendit le dernier soupir le 19 juillet, après 2 mois d’agonie. Quant à Eliza, elle survécut fort heureusement. Hortense disant qu’elle voulait adoucir les souffrances de la mère lui fit prendre du sirop qui empira son état.
Des informations eurent lieu et l’on découvrit que le sirop ainsi que la poutine avaient été empoisonnés en les mélangeant avec de l’ovi-sulfure d’antimoine et de l’arsenic. »
Je vous résume la suite : la fille tente d’incriminer un jeune homme « avec lequel elle avait déjà des relations », puis finit par avouer « froidement » en être la seule responsable. On souligne ensuite à gros traits son « impassibilité », l’absence de mobile et — allez, pourquoi pas — ses moeurs dissolues. Hortense Lahouse est finalement condamnée à 20 ans de prison. L’article conclut : « Fasse le ciel que des remords et des regrets arrivent enfin à cette âme de fer ».
Poutine aux raisins ? Sans doute un dessert, peut-être un pouding. L’origine française de la dépêche validerait-elle l’hypothèse rapprochant poutine de certains mots régionaux français ?
1900 : La poutine à répondre
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3729274
Le Canard (« Journal à un sou ») est un journal hebdomadaire humoristique et satirique.
Dans son édition du 19 mai 1900, on découvre la chanson humoristique Toto carabo ! dans laquelle le narrateur, un homme, raconte à la première personne sa rencontre avec une jeune femme et les diverses péripéties vécues avec celle-ci. Chaque couplet raconte une anecdote et se termine par une chute comique en deux vers dont le premier rime avec « Titi carabi » et le second (la chute) avec « Toto carabo ».
Par exemple:
« Gâteaux, noix et tartines
Elle se bourre vivement
Fallait un peu d’ice cream
Goûter assurément :
— Ah ! c’est frette qu’a m’dit
Titi carabi
— Je l’aimerait mieux chaud
Toto carabo »
Au dernier couplet, l’auteur triche un peu lorsqu’il utilise le mot poutine.
« Voilà qu’après tout
Elle avait encore faim.
C’est pour le coup
Que je compte mes centins
Elle voulait d’la poutine
Titi carabine
Et ruiner c’pauvre Chicot
Toto carabo »
Notons que le centin était le nom donné autrefois au cent (valeur d’un centième de dollar).
1902 : La poutine est un pouding
« Note. — Cette page, fort intéressante pour nous, de M. de Gourmont est extraite d’un chapitre où cet auteur cherche à formuler une règle pour la réforme des mots étrangers qui entrent dans la langue française. Ses données ne sont peut-être pas toujours exactes et ses conclusions parfois peuvent paraître hardies; particulièrement, ses citations de mots anglais francisés ne sont pas toutes également heureuses. Mais il est piquant de voir un philologue de la vieille France venir chercher en la Nouvelle des types de mots anglais naturalisés.Le Comité du Bulletin. »
1907 : La poutine qu’on distille
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3724704
La Nation (« Journal canadien pour le peuple canadien ») est un hebdomadaire
publié à Saint-Jérôme de 1901 à 1909.
« Ne s’est-on jamais demandé la raison pour laquelle les endroits où il n’y a pas de licence d’hôtel sont des lieux où il se fait un abus considérable de liqueurs alcooliques ?
En plus, a-t-on remarqué que les maisons de jeu et de réputation douteuse y sont en plus grand nombre ? La réponse est claire comme le jour; on y distille là ou on y tient sans licence et en quantité les liqueurs alcooliques; et pour pouvoir vendre un poison alcoolique que tout le monde connaît sous le nom de “Poutine”, il fait bien attirer les gens en donnant champs ouverts à leur grossières habitudes. »
1907 : La poutine, cet anglicisme
Dans cet article savant, Adjutor Rivard étudie les divers procédés à l’œuvre dans la francisation des mots anglais dans le franco-canadien. Poutine apparaît dans la catégorie « Chute de la consonne terminale ». Ainsi, Pudding donne Poutine.
(Par ailleurs, j’ajoute Adjutor dans mon répertoire personnel de noms anciens rigolos.)
1913 : La poutine est dans le sac
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2671613
Suite et fin d’un lexique publié en feuilleton dans le Bulletin du parler français au Canada et dont le titre complet est : La maison de mon grand-père et ses dépendances : fournil, remise, laiterie, four situé à la Grand’plaine de la Baie-du-Febvre : monographie lexicologique. (J’ai trouvé le titre complet dans Jean du Bergé, Grille des pratiques culturelles, Éditions du Septentrion, 1997; consulté dans Google Books).
On y définit poutine comme suit :
« Grande pâte étendue et disposée en forme de sac, remplie de fraises, de framboises ou de bleuets. On l’enveloppait dans de la toile durant la cuisson pour l’empêcher de se dénouer. »
1916 : La poutine, c’est mal
« Au contact de la langue anglaise notre langage se contamine non seulement dans les mots, mais encore dans la prononciation. »
« Aux mots français tâchons de garder la prononciation française; c’est bien le moins qu’on puisse demander ! »
« Comment donc faut-il prononcer les mots anglais francisés ? Il n’y a aucune hésitation sur ce point. — A la française. »
« Pudding. — S’écrit et se prononce poudingue. Peut aussi s’écrire pouding. Ne pas dire poudigne ni poutine. »
1926 : Attention, poutine glissante
Parmi d’autres mets du terroirs, on y décrit la poutine glissante :
« Les jours de fête on servait comme dessert de la “poutine glissante”. On appelait ainsi une pâte épaisse, coupée par carrés et bouillie dans l’eau. Ce mets se mangeait avec de la mélasse ou du sucre d’érable et ressemblait beaucoup aux crêpes blanches connues de mes jours sous le nom de “grands pères”. »
J’ai retrouvé de nombreuses traces de cette poutine glissante dans des termes identiques (« pâte épaisse », « coupée par carrés », « bouillie dans l’eau ») dans divers articles de journal publiés jusque dans les années 1960. Il semble que tout ce beau monde soit allé piger à la même source, soit l’ouvrage d’E.-Z. Massicotte.
1927 : Une grosse poutine
« Poutine (putin) s.f.
1° Il Pouding (s.m.). Ex. : Manger de la poutine. Étym. Ang. pudding = m.s.
2° fig. || Personne grasse et ronde (surtout en parlant des femmes). Ex. : Une grosse poutine. »
1934 : La poutine est encore un pouding
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2677941
Les feuillets Corrigeons-nous sont intercalés régulièrement dans le Canada français. Comme l’indique le titre, le propos est prescriptif. On cite poutine parmi une longue liste de termes — beurrée, doigts de dame, beigne, blanc-mange, etc. — qui sont à proscrire. Pourquoi en effet utiliser des régionalismes quand on peut parler comme « en France » ?
« Poutine est une francisation canadienne de l’anglais pudding et sert, comme ce mot-ci, à désigner chez nous un entremets sucré, à base de lait, d’œufs, de biscuits ou de pain, de raisins secs, avec différents parfums. Cet entremets porte en France le nom de pouding qui se prononce pou-din-gue, non pas pou-di-gne. »
J’ai retrouvé l’intégralité de ce texte de 1934 ou des versions résumées dans divers journaux parus des années plus tard, dont Le progrès du Saguenay du 19 mai 1939 et La tribune (Sherbrooke) du 26 mars 1949. C’était bien avant l’ère actuelle de l’instantanéité des contenus.
1937 : Poutine alcoolique
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2544696
Le journal En avant ! (« Hebdomadaire de combat canadien-français, politique et littéraire ») a été publié de 1937 à 1939 à Saint-Hyacinthe. On remarque que son Directeur littéraire est Claude-Henri Grignon.
Un texte satirique intitulé
Lettre de Martial Ducrochet à son père cite ce qui serait le
premier chapitre d’une « thèse sur la colonisation » écrite par l’auteur. On y
traite des « qualités du colon et de la colonne ».
« Il sera défendu au colon de fabriquer son cidre de pomme mais il pourra faire de la “poutine” tant qu’il voudra. Surtout lorsque le député arrêtera le voir, qu’il ne manque pas de le traiter. Il est défendu cependant de saouler le député. Néanmoins, il serait de bon ton d’enivrer les ministres. La “poutine” ne devra contenir aucun poison violent. Il ne faut pas que les ministres meurent subitement, mais à petit feu. »
On retrouve encore ici poutine dans le sens d’alcool de fabrication clandestine.
1938 : Poutine suffragiste
Le jour (Montréal), 26 mars 1938, p. 1.
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2753166
Le journal Le Jour (« indépendant politique, littéraire et artistique ») est un hebdomadaire de combat et d’opinion de tendance libérale publié à Montréal et dirigé par Jean-Charles Harvey.
Dans l’édition du 26 mars 1938, à la rubrique Avec le sourire, il est question de la dernière tentative des suffragettes québécoises pour faire adopter une loi visant à donner le droit de vote aux femmes. L’article commence par ces mots :
« On s’y attendait : le projet de loi du suffrage féminin a été battu à l’assemblée législative. Le pèlerinage annuel des féministes de notre province, dans la vieille capitale, dure depuis longtemps. Toujours, Madame Thérèse Casgrain revient à la charge avec une ténacité digne d’un meilleur sort. Et toujours aussi elle en revient dégoûtée. »
Bien que cela ne soit pas mentionné explicitement, je crois comprendre qu’il s’agit du pèlerinage annuel vers Québec effectué de 1927 à 1938 par l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec pour supporter la cause suffragiste.
Plus loin, on lit :
« Nous n’avons pas l’intention d’expliquer ici la thèse suffragiste. Ce qui nous étonne, dans cet événement, c’est le manque de franchise de la plupart de nos politiciens. Quand ils s’opposent au fameux “bill”, il ne disent pas leur vraie pensée. Les envolées sur le rôle de la femme, sa beauté, sa dignité, sa mission, sa nature, et patati patata, tout ça, c’est de la “poutine”. »
Avec ou sans poutine, les femmes obtiendront le droit de vote au Québec en 1940.
1938 : Poutine politique
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3570968
Le quotidien Le Canada (« Journal du matin ») était un quotidien lié au Parti libéral. Dans son édition du 16 juillet 1938, un texte non signé intitulé La “déclaration” mensongère de M. William Tremblay ne met pas de gants blancs pour accuser William Tremblay, alors ministre provincial du Travail, de patronage.
« En politique, M. William Tremblay se classe de lui-même, depuis longtemps, dans la catégorie des fabricants de ce mets plantureux dont l’Union Nationale fait, avec plaisir, son ordinaire : la poutine, ou la blood-poutine autrement dit boudin. A propos des travaux de chômage, M. Tremblay vient d’en servir une platée de sa façon, dans laquelle la cuiller se tient droit debout. Le ministre du Travail en tient comme d’instinct pour la poutine, la grosse poutine, alors que les raffinés du régime essaient de perfectionner une recette particulière de bouillie pour les chats. »
L’utilisation de blood-poutine souligne le fait que poutine et pudding semblent interchangeables.
1943 : Poutine au second degré
Le Devoir (« Fais ce que dois ») est un quotidien montréalais fondé en 1910 et toujours publié aujourd’hui.
Dans la rubrique La page féminine, un texte intitulé Le tour du village est signé par Germaine Guèvremont. Il s’agit d’un texte autobiographique faisant partie d’une série d’abord publiée dans la revue Paysana.
« Quand ma soeur et moi, qui occupions, face à face, les bas côtés de la table, vîmes paraître dans la salle à manger la petite Marie, l’air effarouché, la coiffe de travers et les épaulettes de son tablier amidonnées à un point qu’elles lui faisaient des ailes comme à quelque angelot, le fou rire nous gagna, mais un regard sévère nous le fit vite ravaler. Tout le long du repas, à chaque nouvelle apparition de la servante, je dus me pincer jusqu’au sang pour ne pas éclater. Le service se fit tant bien que mal; Marie, l’allure batailleuse, passait les plats, enlevait les assiettes en rasant les oreilles des invités; bref, il y avait de la menace dans l’air. A un moment je vis ma mère si misérable au bout de la table que je n’eus plus envie de rire. Elle venait de se pencher vers Marie pour s’informer d’une poudingue — ô imprudente cuisinière — dont elle essayait la recette fort compliquée :
— De quoi ma poudingue a-t-elle l’air ?
Petite Marie saisit par les cheveux l’occasion de se venger; impénétrable, elle lança à toute voix :
— Quoi! A l’air poutine !
Un bel éclat de rire jaillit comme une source d’eau vive. C’était le juge Robidoux qui donnait le branle à la “sainte gaieté”. Le repas auparavant guindé se termina joyeusement, grâce à la petite Marie. »
Disons que la blague tomberait à plat aujourd’hui. Je n’arrive pas à élucider si ce « Elle a l’air poutine » signifie que c’est une grosse femme ou si on fait référence à une apparence qui manque d’harmonie.
1944 : Une poutine suspecte
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2578409
L’Action populaire (« Justice me guide ») est un hebdomadaire qui a été publié à Joliette de 1913 à 1970.
Dans l’édition du 20 janvier 1944, un texte au ton satirique intitulé Notes d’un visionnaire commente la qualité de « certaines liqueurs douces », entendu par là d’alcool de fabrication artisanale.
« Un chimiste disait à l’un de ses clients qui lui avait envoyé un échantillon de “poutine” à analyser : Mon cher, votre cheval souffre de diabète. »
1945 : Poutine militaire
https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3572979
Dans l’édition du 10 janvier 1945 du journal Le Canada, on trouve une « dépêche retardée » datée du 2 janvier et provenant de Grande-Bretagne, intitulée Le souvenir des vétérans de notre escadrille des Alouettes. On appelle les Alouettes le 425e escadron canadien-français de l’armée canadienne, formé pendant la seconde guerre mondiale.
« Assis sur un lit de camp, au milieu d’un groupe de sous-officiers, j’écoute les “vieux” des “Alouettes” qui racontent leurs expériences. Comme c’est le lendemain du Jour de l’an, il y en a certains qui ne semblent pas des plus reposés. Mais, ça ne les empêche de se rappeler les bons et les mauvais jours qu’ils ont passés ensemble, en Afrique du Nord et en Grande-Bretagne. (…)
Quelques heures agréables passées à Tunis ou à Alger, et il n’en faut pas plus pour passer l’éponge sur la chaleur qui les accablait, le jour, dans le désert, alors que les nuits étaient trop froides. Quelques bons repas pris ici et là ont suffi pour les faire rire à la pensée de l’éternel “corned beef” qu’on leur servait au camp. Enfin, le seul plaisir de pouvoir dire qu’ils ont servi en Afrique du nord l’emporte de beaucoup sur les ennuis et les heures pénibles qu’ils ont dû y passer.
— Te rappelles-tu cette nuit où le sirocco était si fort qu’il a jeté ma tente par terre à six reprise ?
— Ah! le m… “corned beef”, il était tout mou tellement il faisait chaud. Quelle “poutine”, ça faisait. »
Gageons que ce mot en M (« m… ») était un bénin maudit.
1945 : La poutine qu’on brasse
Dans L’Avenir du Nord (« Hebdomadaire dévoué aux intérêts de Saint-Jérôme et du district ») du 3 août 1945, on trouve l’expression brasser de la poutine :
« Le Loup-Gareau, en villégiature à Saint-Faustin, rapporte bien des scandales politiques dans le nord du comté... Il s’en brasse de la poutine ! »
1946 : Poutine communiste
Le Front ouvrier (« Pour un monde ouvrier plus chrétien ») est le journal officiel de la ligue ouvrière catholique. Dans l’édition du 23 mars 1946, on peut lire un article intitulé Qu’en pensent les ouvriers de Montréal-Cartier ? et qui s’intéresse au cas de Fred Rose, député du Parti ouvrier progressiste (d’allégeance communiste) qui venait de se faire arrêter et accuser d’espionnage.
« C’était en avril 1943. Nous sommes en mars 1946. Le Gouvernement d’Ottawa a eu le temps de faire bien des bêtises depuis, entre autres, celle d’absoudre les communistes; il s’est ensuite presque excusé auprès d’eux; il les a laissé cuisiner la belle “poutine” d’espionnage que les journaux nous servent actuellement. »
1946 : La poutine est toujours un pouding
Le bulletin des agriculteurs est une revue mensuelle publiée depuis 1918 et toujours publiée aujourd’hui. Dans l’édition de mars 1946, la chronique Gerbes et glanures de l’abbé Arthur Maheux traite des bleuets.
« (…) les Américains attrapent les bleuets, vous les dévorent en nature, en tartes, en poutines, ou bien les mettent en conserves, ou bien les font geler en un tournemain, pour les dévorer à la Thanksgiving ou au Christmas. »
Une autre de ces poutines qu’on mange au dessert.
1946 : Poutine parlementaire
Dans l’édition du 18 novembre 1946 du Canada (« Le Canada pour tous les Canadiens »), on casse du sucre sur le dos de l’homme politique Pierre Bertrand dans un article intitulé M. Pierre Bertrand et la “poutine”.
« Quelques années avant la guerre, M. Bertrand alors député de Saint-Sauveur et représentant des ouvriers dans l’U.N. confiait à un collègue, au sujet des bills néfastes 19 et 20 que M. Duplessis venait de présenter à la Chambre, en dépit des protestations de toutes les associations ouvrières : “Ces bills-là, amendements de chapitre 2 Victoria, George VI, Edouard VII, alinéa par icitte, alinéa par là, c’est toute de la poutine pour moé.” »
1948 : Poutine frelatée
Dans l’hebdomadaire L’Étoile du Nord (« Au service de Joliette et de la région depuis au-delà de soixante-cinq ans ») du 9 décembre 1948, on rapporte la saisie de deux alambics à Saint-Félix.
« De plus en plus fort, dirions-nous, en prenant connaissance des dernières razzias de la Police des Liqueurs. Les avertissements des semaines précédentes n’auraient donc fait que raviver l’audace de plusieurs. On ne se contente plus de violer la Loi du dimanche : voici qu’on se met à fabriquer de la boisson frelatée, appelée en langue vulgaire Moonshine, bagosse, poutine et robine, autant de vocables pittoresques qui peuvent désigner à l’occasion des poisons violents. »
1953 : Poutine électorale
Le Droit (« Le quotidien français de la capitale du Canada ») est un quotidien publié à Ottawa depuis 1913. Dans l’édition du 3 juillet 1953, on découvre un billet intitulé La “poutine” et signé Touchatout. À quelques jours des élections fédérales, on y traite de la morale ou de l’absence de morale des candidats au sujet de l’alcool de contrebande.
« La chose est connue d’un grand nombre d’électeurs.
Les élections ne se font pas avec des prières, mais souvent avec de la “poutine”.
La “poutine”, c'est une liqueur électorale.
Certaines années, elle coule comme un fleuve. Jusqu’à Séraphin qui le disait voici cinquante ans. »
1958 : Poutine télévisuelle
Publié de 1952 à 1961, Radiomonde et télémonde est « le seul périodique exclusivement consacré à la radio, à la télévision et à ses artistes ». Cet hebdomadaire offre des articles, ainsi que l’horaire des programmes de télévision et de radio. Il succède à Radiomonde (publié de 1939 à 1951), et précède Télé-Radiomonde (publié de 1962 à 1985).
Dans l’horaire télé de l’édition du 16 août 1958, on découvre que le lundi 18 août 1958 a été diffusé à 17 h 30 aux canaux 2, 4, 7, 9, 12 et 13 l’émission Jeunes auteurs, dont le synopsis va comme suit :
« A la dernière émission de la série, un sketch de Denis Blondin intitulé “Trois policiers et le devoir”. Ce texte, quoique non primé au récent concours, a quand même retenu l'attention des juges pour son dialogue pétillant et l'intérêt de l’affabulation. Cette comédie satirique raconte comment trois policiers d’une petite ville du Québec réussissent à appréhender un voleur sans sa donner vraiment trop de peine. En fait, c'est l'épouse de l’un d'eux qui provoque l'arrestation, mais on la félicitera simplement de faire de la bonne “poutine”, car l'honneur de ces messieurs est en jeu. Les rôles des huit personnages de la pièce ont été confiés à Marcel Gamache, Michel Noël, Guy L’Ecuyer, Roger Garand, Colette Courtois, Jacques Bilodeau, Yvon Thiboutôt et Georges Bouvier. Cette dernière émission sera réalisée par André Bousquet. Les décors seront de Aras et les costumes de Claudette Picard. »
Manifestement, le concept de divulgâcheur n’existait pas à l’époque.
1963 : Poutine expatriée
La Presse (« Le plus grand quotidien français d’Amérique ») est un quotidien publié à Montréal depuis 1884.
Dans le cahier culturel de La Presse du 21 septembre 1963, Jean-Pierre Ferland donne une grande entrevue en direct de Paris. Il souligne que sa chanson Les grands-pères est sa plus populaire à Paris. Il en cite quelques mots:
« Y dit oup Farlatine
Des patates pis de la poutine
Range ton cul sur le bord du mien, gaiement… »
1964 : La poutine, c’est poison
Dans l’Action populaire du 16 décembre 1964, cette brève :
« La poutine — c’est poison !
En réponse aux questions qui lui sont venues de divers milieux, le Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec tient a mettre le public en garde contre l’usage d’alcools frelatés. De tels alcools attaquent le nerf optique et provoquent une perte de la vue. Ils affectent aussi les cellules du cerveau, amenant à plus ou moins brève échéance un affaiblissement de la mémoire et des facultés de concentration. Notons encore que les alcools frelatés occasionnent des troubles graves de l’appareil digestif, tels que des indigestions aiguës, des gastrites, des entérites, etc. »
1968 : Poutine ministérielle
Dans une entrevue publiée dans l’édition du 1er août 1968 de la Presse, Jean-Luc Pépin, alors nouveau ministre de l’Industrie et du Commerce du Canada, qualifie son ministère de « grosse poutine » :
« “C’est tellement une grosse poutine que, avant d’en avoir fait le tour, il faut qu’un gars y mette un peu de temps.” »
1968 : Nauséabonde poutine
Dans le Clairon de Saint-Hyacinthe du 18 septembre 1968, Richard Robert signe un éditorial qui fait état de la piètre hygiène de l’eau de la rivière Yamaska. (Il s’agit, croyez-en votre humble serviteur qui est natif de cette municipalité, d’un sujet qui fut récurrent à Saint-Hyacinthe jusque dans les années 1980).
« Ceci m’amène donc à traiter d’un sujet bien particulier, celui des odeurs qui se dégagent de la partie “sèche” ou à peu près de notre rivière, partant du barrage de la Penman’s et en descendant. On y retrouve des centaines de poissons morts et les détritus qui se retrouvent durant certaines périodes de l’été à ciel ouvert.
La construction d’un petit barrage telle que demandée par le conseiller Morin n’aurait d’autre effet que d’atténuer (ce qui est déjà beaucoup) les senteurs qui s’y dégagent. Il y aura concentration d’une mare d'eau polluée à l'extrême degré, mais au moins, toute la poutine que les égouts y versent sera recouverte d’une nappe d’eau. »
1969 : Absence de poutine
Dans les pages du quotidien La Tribune (« Le plus grand quotidien de la Rive Sud ») du 7 juin 1969, on trouve une publicité du restaurant Le lutin qui rit de Warwick. Selon certaine sources, ce restaurant serait un des lieux possibles de l’invention la poutine, à la fin des années 1950 ou au début des années 1960.
En 1969, on ne voit nulle mention de ce mets dans les spécialités de l’endroit, qui sont plutôt la pizza (« M-M-M-M »), les « tartes faites à la maison » et le « BAR-B-Q ».
1970 : Poutine d’après-crise
Dans les pages de La tribune du 30 décembre 1970, un billet de la rubrique Opinion libre est intitulé Les souhaits de Paphnuce. On y lit ce qui suit :
« Bon. avec tout ça, je m’aperçois que j’ai été long et j’ai pas un souhait d’écrit encore. Dans tous les cas, c'est toujours la même chose que les gens se disent. J’avais pensé de faire des souhaits à tous les membres du conseil municipal, mais cette année, ils sont tous du “même bord” et si je leur fais des voeux séparés, ils vont tout mettre ça dans la même “poutine” et ce ne sera rien d’original.
En parlant de “poutine”, êtes-vous revenu de votre crise d’octobre ? Moi, pas encore ! J’écoutais encore ce matin à la radio le récit des traitements qu’avait reçus M. X. dans une prison de Québec. C’est effrayant de voir jusqu’où certains policiers peuvent pousser l’enthousiasme ! »
Bien que cela n’ait aucun lien avec le sujet qui nous intéresse, je ne peux me retenir de reproduire ici la une de cette édition qui paraît alors que la crise d’Octobre tire à sa fin.
1972 : Poutine non identifiée
Dans le cahier spécial « Revue annuelle ’72. Région des bois-Francs » de l’édition du 10 mars 1972 de La Tribune, on trouve une publicité pour un restaurant sans nom, à Arthabaska. « L’endroit idéal tout indiqué pour une “Poutine” ».
On ne précise cependant pas de quelle variété de poutine il s’agit.
1976 : Poutine non identifiée (bis)
La rubrique Entre voisins du quotidien le Nouvelliste rapporte des nouvelles brèves en provenance de municipalités de la région trifluvienne. Dans l’édition du 8 septembre 1976, on peut y lire :
« SAINTE-HELENE-DE-CHESTER — “Ma cabane”, qui est une addition au centre communautaire de Sainte-Hélène-de-Chester, est très populaire, surtout en fins de semaine, depuis son inauguration à la mi-août. Nombreux sont ceux qui vont y “faire le plein” en jus de fruits, un breuvage naturel et délicieux qui n'a pas l'inconvénient d'affaiblir les facultés ni de “faire voir embrouillé”... comme c'est le cas pour d'autres “liquides”. Les responsables de “Ma cabane" viennent d'ajouter au menu régulier qui y est servi, de la bonne “poutine” qui donne le désir du “reviens-y” à ceux qui y goûtent… »
Mais quelle sorte de poutine y sert-on ?
1977 : La poutine est encore et toujours du pouding
Dans les pages de La Presse du 12 avril 1977, on trouve la chronique J’en veux pour mon argent dans laquelle Jeanne Desrochers donne ses trucs pour utiliser le pain rassis. On constate qu’en 1977, poutine était encore en usage dans le sens de pudding.
« Comme ça, à première vue, combien connaissez-vous de façons d’utiliser du pain rassis ?
Il y a d’abord le pudding au pain, symbole du conflit des générations. Je ne voulais pas croire, quand j’étais enfant, qu’on pouvait faire avec de vieilles croûtes quelque chose de comparable â un gâteau. Ce sont maintenant mes enfants qui dénoncent l’hypocrisie d’un tel camouflage, alors que moi j’apprécie de plus en plus les subtilités de la “poutine”.
J’aimerais bien reproduire l’excellente poutine à l’érable de mon amie Jacqueline. Mais à un dollar la tasse de sirop, je trouve ça presque gênant... (…)
Mais c’est curieux, j’ai envie d’une poutine qui laisse dépasser des croûtes bien dorées, comme dans mon enfance. »
1977 : La poutine, étoile montante
Et c’est finalement dans La Tribune du 22 août 1977 que je trouve une référence à la poutine telle que nous la connaissons aujourd’hui. Je remarque qu’en 1977, on parle de « consécration récente » du plat, reconnu dans la région de Drummondville « depuis 4 ou 5 ans ». (Je me suis permis de corriger quelques coquilles du texte original.)
« Un mets régional qui connaît une vogue croissante : la “poutine”
DRUMMONDVILLE (par Gérald Prince) — Quand on entend le mot “poutine”, on pense à la déformation du mot “pouding ” et on imagine un dessert sucré qu’on prendra à la fin du repas. Mais dans la région de Drummondville, depuis 4 ou 5 ans, c’est une toute autre chose : c’est un mets salé qui comprend du fromage en grains, des frites et de la sauce. Depuis sa mise au point par un restaurateur de Drummondville, M. Jean-Paul Roy, il a pris une telle importance dans la région que le plus important producteur de fromage en grains des environs, M. Marcel Lemaire de St-Cyrille, soutient que 90 pour cent de sa production sert à faire des poutines.
Plus encore, la recette, très simple, s’est répandue partout au centre du Québec et de nombreux restaurants, autant à Victoriaville, Disraéli, Nicolet, Acton Vale qu’ailleurs, connaissent des succès inespérés avec ce mets. De dire Jean-Paul Roy : “Si je recevais un pourcentage (ou des droits d’auteur) sur ma recette, je deviendrais riche rapidement”.
A son seul restaurant, Jean-Paul Roy utilise plus de 600 livres de formages en grains par semaine, seulement pour faire des poutines. Le producteur Lemaire soutient que les poutine ont connu un tel succès jusqu'à maintenant qu’il ne peut pas suffire à la demande de fromage.
Cette recette très simple a connue une consécration récente dans la région alors que la Commission scolaire régionale St-François l’a mise officiellement au menu de ses cafétérias pour le mois de septembre, à la demande des étudiants. “Parce que nous ne l’offrions pas à nos menus, de dire M. Paul-Emile Daigle, directeur de l’équipement à la Régionale, les élèves sortaient des écoles le midi pour aller l’acheter en ville”. La décision de cette année comblera cette lacune.
A quoi tient ce succès, qui ne semble pas prêt de disparaître ? Pour M. Roy, il s’agit d’abord une question de qualité du mets, de ça préparation facile, de la possibilité de la faire chez soi. M. Roy rappelle qu'il a inventé la recette vers 1971, à la suite de la demande d'un client qui voulait des frites mélangées à du fromage. M. Roy imagina ultérieurement d’y ajouter de la sauce et le tour était joué.
Non seulement ce mets est-il copieux, peu dispendieux (environ $1), mais encore est-il nourrissant et agréable au goût. Alors, pour ce midi ou pour ce soir, est-ce que je vous sert une poutine ? »
1977 : La meilleure poutine (en ville)
Dans La Tribune du 13 décembre 1977, on découvre une publicité pour le restaurant La Poutine : « Pour la meilleure poutine en ville » (la ville en question étant Rock Forest). On remarque que du fromage frais (en grain sans doute) est en vente sur les lieux.
1980 : Ne pas confondre poutine et poutine
Dans La Presse du 3 mars 1980, on peut lire un reportage de Liliane Lacroix, envoyée spéciale de La Presse aux Jeux du Québec à Thetford Mines (rien de moins). Un des articles de la série porte sur deux jeunes gymnastes originaires de Granby, Isabelle Itri et Isabelle Laplante, qui sont inséparables, comme le témoigne l’anecdote qui suit.
« Hier, elles ont même mangé de la poutine ensemble: “Ça ne ressemblait pas à la poutine de ma mère, lance la petite Itri. Pourtant, ça portait le même nom.” »
Il semble que la poutine nouveau genre était encore inconnue de certains jeunes de Granby en 1980.
1982–1983 : La poutine arrive en ville
Pour terminer, si on se fie au journal La Presse, c’est en 1982 et en 1983 que la poutine telle qu’on la connaît aujourd’hui arrive en ville et devient un phénomène culturel d’envergure provinciale. La poutine est devenue un sujet branché.
« Dans l’économie agro-alimentaire, la toast a un effet d’entraînement qui n’a d’égal que celui de cette fameuse sauce brune accompagnant le hot chicken, le steak haché, le poulet Bar-B-Q, le rosbif, la tourtière, le pâté à la dinde, le sheperd’s pie et la poutine. »
« Jadis, c’était un pouding. Des grands-mères pas gaspilleuses préparaient la poutine au pain; on en avait des croûtes à manger. Puis, on entendit parler de la poutine râpée, une sorte de délice acadien dont j’ignore, à part la patate, la composition, mais il me semble que c’est simple et vite fait. Aujourd’hui, c’est la poutine tout court. La poutine est très nourrissante, rien qu’a y penser, on n’a déjà plus faim. Comme le pâté chinois, la poutine a trois rangs : un rang de patates frites, un rang de fromage en grains fondu, un rang de sauce barbecue. Variantes locales possibles. Même Kraft, dans une appétissante recette-télé dont elle a le secret, recommandait l’un de ses fromages pour la confection de la poutine, “un plat typique de certaines régions du Québec”, comme disait, du bout des lèvres, l’annonceur. Après le “P’tit Québec juste pour nous autres”, merci, Kraft, pour cette nouvelle pierre dans l’édifice de la gastronomie de par chez nous. La semaine prochaine : la guédille. »
On connaît la suite : la poutine — la concoction indigeste — allait gagner en popularité et étendre son royaume bien au-delà des frontières du Québec. Cela fait sans doute aujourd’hui de poutine — le mot — le québécisme le plus connu au monde.