12 septembre 2020

Les mains gercées (13)

[À l’âge que j’ai, je rêve parfois de retourner en quarantaine. Les mois se succèdent et malgré lapplication des consignes sanitaires par la population, le virus continue de rôder. J’ai entrepris de creuser mon terrier pour l’hiver. Je dégonflerai ma bulle, me glisserai sous le tapis et me désagrégerai petit à petit, jusqu’à l’effacement. Je ne m’en fais pas avec la suite des événements : dans cent ans, je serai depuis longtemps disparu lorsque les robots d’Amazon (NASDAQ : AMZN) régiront l’humanité.]







À la longue, on s’habitue à demeurer cloîtré
J’ai atteint le niveau expert
Pendant que les complotistes se massent sans masques
Moi, je ris de mes blagues plates dans un vidéo-apéro

Prudents, nous rampons hors de nos abris 
La tempête a laissé derrière elle
Un pays battu, meurtri
Sali de mille masques jetables jetés


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Bonne nouvelle : le Festival de la poutine galvaude
Pourra rassembler jusqu’à 250 personnes
Grâce au sens de l’initiative
De notre ministre de l’Économie culturelle


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Les amis, tout là-bas, à l’autre bout de la table
Quand même plus vrais qu’à l'écran
Au gré du vin, la distanciation devient détachement
À minuit, on ne sait plus se dire au revoir


*


Je caresse le pourtour de l’épicentre
Derrière nos masques béants
On pousse des soupirs aérosols
J’ai déjà hâte à la deuxième vague


*


Les journées raccourcissent
On se paye une dernière canicule
Le plateau épidémique se maintient 
Les parents sont inquiets

L’homme est un loup pour l’homme
Qui vivra verra
Après la pluie vient le beau temps
Les parents sont inquiets

On nous le répète, dans cette pandémie
Il n’y a aucune certitude
À part ce truisme :
Les parents sont inquiets


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On veut faire comme si de rien n’était
On veut aller rejoindre nos amis chez William
On veut chanter au bar de karaoké
On ne veut pas se faire donner des consignes

On ne veut pas l’enseignement à distance
On ne veut pas non plus envoyer nos enfants à l’école
On veut quand même qu’ils deviennent des astronautes
Et inventent le bouton à cinq trous

On ne veut pas de traçage par téléphone
Mais on passe quatre heures par jours dans Facebook
Pis on donne nos mots de passe quand le gars
Avec un gros accent les demande au téléphone

On n’aime pas se faire dire quoi faire par le gouvernement
Mais on aime se faire dire quoi faire par des quidams
Qui inventent des histoires tirées par les cheveux
À bien y penser, on n’haït pas ça se faire donner des consignes


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Le temps glisse, les vacances meurent
Pendant que le Québec est sur le party
Nous, pauvres épais confinés à la maison
N’avons même pas visité la Gaspésie

J’ai demandé au tamia rayé s’il a des plans pour l’hiver
Ma blonde s’ennuie un peu
Je parle à mon ordinateur une partie de la journée
Le futur sera post-pandémique ou ne sera pas



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