29 juin 2020

Domotique

        Le monde est un peu vide. C’est que tout a été numérisé. Enfin, presque tout. Pas le lave-vaisselle, bien entendu. Ni la table et les chaises de la cuisine ou le divan du salon. Les meubles de rangement remplis de livres et de musique ont été numérisés. Les horloges — murales, grand-père, à coucou, etc. — ont été numérisées. Mon réveil-matin a été numérisé. L’âme de mon chien a été numérisée. Les images, les photos, les écrits, les sons, la musique, les films ont été numérisés. Toute information pouvant être transmise, stockée ou transformée a été numérisée; l’information ancienne — enfin, celle qui méritait de l’être — et la nouvelle. Tous les appareils domestiques qui servaient à obtenir de l’information ont disparu. Mon appartement est presque vide, sauf pour les meubles. Il est possible de parler à mon appartement comme s’il s’agissait d’une entité dotée de raison, il vous répond. On peut aussi lui écrire; c’est plus long, mais ça comporte un je-ne-sais-quoi de désuet qui me plaît bien. Il paraît qu’à une époque, il y avait des boutons, des commutateurs et des rhéostats partout. On contrôlait chaque dispositif, chaque objet individuellement à l’aide de ces boutons. Chaque appareil était aussi doté de voyants lumineux de diverses couleurs — rouge, vert, jaune, bleu — et de petits écrans qui affichaient son état de fonctionnement, un code, un mot, de petits pictogrammes, l’heure. L’idée de ces boutons et de ces voyants semble maintenant farfelue. Comment pouvait-on endurer de vivre dans une espèce de décoration de Noël ? L’appartement est vide et nu et pas du tout doté de raison. Il ne faut pas croire que parce qu’il comprend le français et optimise le chauffage, l’appartement peut, par exemple, disserter sur l’œuvre de George Orwell. En fait, il pourrait le faire si vous le lui demandiez, mais le discours que vous devriez alors subir n’aurait rien d’une conversation. Disons que je ne sortirais pas boire un verre avec mon appartement.