13 avril 2020

La panacée

Les gens espèrent une solution simple, un truc miracle qui réglera une bonne fois pour toutes le problème du coronavirus. Comme dans de si nombreuses histoires d’invasion. Dans la Guerre des mondes (H. G. Wells), les envahisseurs venus de Mars succombent aux microbes terriens (ce dénouement semble ironique dans notre contexte). Dans l’hilarant film parodique Mars Attacks! (Tim Burton), quelqu’un découvre par hasard que la chanson Indian Love Call interprétée par Slim Whitman fait exploser le cerveau des méchants Martiens. Boum! Problème réglé.

Notre culture adore les complots. La solution miracle au coronavirus sera simple, à la portée de tous, mais des forces maléfiques (issues de l’administration publique, bien sûr) nous empêcheront de la mettre à profit. On nous cache tout, on nous dit rien, comme chantait Dutronc. Un vieux médicament contre la malaria ou le lupus ferait soi-disant des merveilles, malgré que son efficacité n’ait pas été démontrée par des essais cliniques rigoureux (et concluants). Le port du masque — d’un simple masque, même de confection artisanale, vous rendez-vous compte! — est évidemment la panacée qui sauvera l’humanité et lui permettra de retourner au plus vite produire de la valeur pour les actionnaires et consommer au Walmart. Plus les autorités de santé publique énoncent leurs arguments — le port généralisé du masque est d’une utilité marginale et on veut éviter les pénuries dans les services médicaux — plus on y voit un complot. La solution semble si simple, trop simple pour être vraie. Car c’est ainsi que fonctionne la science, n’est-ce pas ? Les solutions s’imposent par leur simplicité, c’est à se demander pourquoi les scientifiques de haut niveau perdent tout ce temps en études et en recherches.

Or voilà, il n’y a pas de conspiration. La science est têtue, lente et progressive. Elle semble parfois spectaculaire quelque temps après une découverte, mais rarement pendant. N’attendez pas l’eurêka qui permettra de régler le problème du coronavirus en claquant des doigts. Il faudra être patients. Nous devrons bientôt sortir de notre grotte et reprendre certaines activités. Par contre, avec ou sans masque artisanal, si vous êtes une personne active, il est assez probable que vous attrapiez ce virus dans la prochaine année. Rappelez-vous cette estimation de l’épidémiologiste américain Marc Lipsitch : de 20 % à 60 % de la population pourrait être infectée. Il n’y aura pas de panacée, pas de miracle. Car notre situation tient davantage d’En attendant Godot (Samuel Beckett) que d’Independance Day (Roland Emmerich).



Estragon. — Tu es sûr que c’était ce soir ?
Vladimir. — Quoi ?

Estragon. — Qu’il fallait attendre ?
Vladimir. — Il a dit samedi. (Un temps.) Il me semble.
Estragon. — Après le turbin.

Vladimir. — J’ai dû le noter. (Il fouille dans ses poches, archibondées de saletés de toutes sortes.)
Estragon. — Mais quel samedi ? Et sommes­-nous samedi ? Ne serait-on pas plutôt diman­che ? Ou lundi ? Ou vendredi ?
Vladimir (regardant avec affolement autour de lui, comme si la date était inscrite dans le paysage). — Ce n’est pas possible.
Estragon. — Ou jeudi.
Vladimir. — Comment faire ?
Estragon. — S’il s’est dérangé pour rien hier soir, tu penses bien qu’il ne viendra pas aujourd’hui.
Vladimir. — Mais tu dis que nous sommes venus hier soir.
Estragon. — Je peux me tromper.


(Samuel Beckett, En attendant Godot, Acte premier.)