Pendant un moment, ma grand-mère maternelle a habité la maison à côté de chez nous. J’allais y faire un tour à l’occasion. Une partie de la maison était sur deux étages, ce qui était rare dans ce quartier de bungalows. Il y avait au rez-de-chaussée un boudoir où, dans une bibliothèque, se trouvait une vieille encyclopédie illustrée de gravures qui me fascinait. Je trouvais que grand-maman ne ressemblait pas beaucoup à ma mère. Mon grand-père était mort bien avant ma naissance. Grand-maman s’était remariée. Par un étrange euphémisme, on appelait son deuxième mari Mononcle Charles. Un jour, ils sont déménagés à Montréal. Mononcle Charles y avait des affaires et de la famille. J’allais parfois les visiter avec mes parents. On passait par le pont-tunnel Louis-Hyppolyte-La Fontaine. Ils résidaient dans Hochelaga, au deuxième étage d’un immeuble, au-dessus d’une boucherie, un appartement étriqué, bien plus petit que leur ancienne maison à côté de chez nous, à Saint-Hyacinthe. Pour monter, on devait emprunter un escalier intérieur qui m’apparaissait extraordinairement long et à pic. Dans le salon, les sofas étaient couverts de plastiques protecteurs. De la salle à manger, par une porte, on avait accès aux toits, où il y avait des hangars, des cheminées, les couvertures en gravier; tout cela me semblait très exotique. Nos visites faisaient sans doute plaisir à ma grand-mère, mais elles exaspéraient mes parents, inquiets de la voir ainsi exilée à Montréal, loin de ses deux filles. La pauvre sortait peu, prisonnière de son appartement juché au sommet d’un escalier inadapté à une personne vieillissante. Grand-maman est morte dans un hôpital de Montréal, quelques années plus tard, alors que j’étais devenu adolescent. Elle a été enterrée au cimetière Côte-des-Neige. Quand je fais le tour de la montagne à la course, il m’arrive de faire un petit détour pour lui rendre visite.