La cinquantaine : le demi-siècle a quelque chose d’inachevé. Déjà, c’est une demie. On se demande : le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Est-on à la moitié de sa vie, l’a-t-on dépassée depuis longtemps déjà ? Le demi-siècle, il faut se l’avouer, marque le début officiel de la vieillesse, la vraie. Le quinquagénaire en présente déjà les principaux symptômes : les cheveux gris, les articulations douloureuses, les geignements lorsqu’il se déplie. Les yeux pochés. La presbytie.
Tentant de compenser d’être devenu vieux, le quinquagénaire fait étalage de sa prétendue sagesse : il chiale contre les jeunes, il dira comme si c’était une évidence qu’en toute chose c’était mieux avant, que tout se déglingue; les personnes vieillissantes aiment croire qu’après elles, il ne peut y avoir que le déluge, elles cultivent le catastrophisme, elles s’imaginent que leur disparition éventuelle signifie que tout va disparaître. Les jeunes sont comme ceci ou comme cela, les bonnes manières vont disparaître, le bon goût va disparaître, le français va disparaître, Montréal va disparaître, le Québec va disparaître, l’occident va disparaître, le monde s’en va à sa perte. Ce qu’on appelle la sagesse des vieux est trop souvent du radotage pessimiste et misanthrope, l’expression d’un conservatisme angoissé.
Plus les vieux sont vieux, plus ils ont peur de mourir et plus ils s’imaginent que la fin de l’humanité est imminente. L’humain semble avoir de la difficulté à s’imaginer qu’après sa disparition, le monde continuera à avoir du plaisir sans lui. Comme la population occidentale est vieillissante, ce pessimisme anxieux se généralise dans nos sociétés. On aimerait qu’il soit question de la pollution et du réchauffement climatique, mais il est beaucoup question de la peur des étrangers, de la peur de tout ce qui est nouveau et du douloureux deuil des activités humaines en obsolescence : tout se démanche, le pire est à venir, ça va donc mal.
Cette attitude m’irrite. Les vieux me fatiguent : ils s’inventent des dystopies et ne pensent qu’à la mort. Ils appartiennent au passé. J’admire la candeur des jeunes : leur optimisme et leur engagement les honorent. Je ne me fais pas d’illusions, cependant, et je sais pertinemment que je ne fais pas partie de cette jeunesse. Chaque fois que je passe devant un miroir, je me rappelle ce que je suis : un vieux, pas complètement vieux peut-être, un vieux en devenir, disons, les cheveux de plus en plus clairsemés, de plus en plus gris, la peau ravagée, les poches sous les yeux, la face qui tombe, les traits tirés. Et j’ai l’âge de mes os. Je suis donc vieux, d’accord, mais j’essaie de ne pas participer à la chorale des conservateurs défaitistes. Je suis chialeux, mais j’essaie de ne pas protester bêtement contre le changement; j’ai plutôt la prétention de croire qu’il est plus noble de m’en prendre à ce qui est immémorial et permanent chez l’humain.
Je ne vois pas ce qu’il y a de mal avec l’âgisme. Je le pratique volontiers. Si c’est pour moi une autre façon de grogner contre mes contemporains, c’est aussi une forme d’autodérision. Et je revendique haut et fort ma mauvaise foi, car c’est bien là un des seuls réels privilèges du cinquantenaire.
Tentant de compenser d’être devenu vieux, le quinquagénaire fait étalage de sa prétendue sagesse : il chiale contre les jeunes, il dira comme si c’était une évidence qu’en toute chose c’était mieux avant, que tout se déglingue; les personnes vieillissantes aiment croire qu’après elles, il ne peut y avoir que le déluge, elles cultivent le catastrophisme, elles s’imaginent que leur disparition éventuelle signifie que tout va disparaître. Les jeunes sont comme ceci ou comme cela, les bonnes manières vont disparaître, le bon goût va disparaître, le français va disparaître, Montréal va disparaître, le Québec va disparaître, l’occident va disparaître, le monde s’en va à sa perte. Ce qu’on appelle la sagesse des vieux est trop souvent du radotage pessimiste et misanthrope, l’expression d’un conservatisme angoissé.
Plus les vieux sont vieux, plus ils ont peur de mourir et plus ils s’imaginent que la fin de l’humanité est imminente. L’humain semble avoir de la difficulté à s’imaginer qu’après sa disparition, le monde continuera à avoir du plaisir sans lui. Comme la population occidentale est vieillissante, ce pessimisme anxieux se généralise dans nos sociétés. On aimerait qu’il soit question de la pollution et du réchauffement climatique, mais il est beaucoup question de la peur des étrangers, de la peur de tout ce qui est nouveau et du douloureux deuil des activités humaines en obsolescence : tout se démanche, le pire est à venir, ça va donc mal.
Cette attitude m’irrite. Les vieux me fatiguent : ils s’inventent des dystopies et ne pensent qu’à la mort. Ils appartiennent au passé. J’admire la candeur des jeunes : leur optimisme et leur engagement les honorent. Je ne me fais pas d’illusions, cependant, et je sais pertinemment que je ne fais pas partie de cette jeunesse. Chaque fois que je passe devant un miroir, je me rappelle ce que je suis : un vieux, pas complètement vieux peut-être, un vieux en devenir, disons, les cheveux de plus en plus clairsemés, de plus en plus gris, la peau ravagée, les poches sous les yeux, la face qui tombe, les traits tirés. Et j’ai l’âge de mes os. Je suis donc vieux, d’accord, mais j’essaie de ne pas participer à la chorale des conservateurs défaitistes. Je suis chialeux, mais j’essaie de ne pas protester bêtement contre le changement; j’ai plutôt la prétention de croire qu’il est plus noble de m’en prendre à ce qui est immémorial et permanent chez l’humain.
Je ne vois pas ce qu’il y a de mal avec l’âgisme. Je le pratique volontiers. Si c’est pour moi une autre façon de grogner contre mes contemporains, c’est aussi une forme d’autodérision. Et je revendique haut et fort ma mauvaise foi, car c’est bien là un des seuls réels privilèges du cinquantenaire.