Il conseillait ce parti depuis assez longtemps pour savoir reconnaître les moments de doute. Ce caucus des députés s’éternisait. Ils discutaient depuis trois heures et la question n’était toujours pas réglée. Et c’était la énième réunion du genre. On tournait en rond. Ce projet de loi était victime de son succès; ses opposants faisaient flèche de tout bois, les commentaires de philosophes, d’historiens et d’autres intellectuels se multipliaient et avaient fini par ébranler les certitudes de ce gouvernement.
On le payait très cher parce qu’il savait voir les fils invisibles, sentir les vents dominants et décoder les sondages. Qu’est-ce qui fait une bonne politique ? Il existe mille grilles d’analyse. Les intellectuels et leurs lettres ouvertes avaient tout faux. Le législateur n'est pas guidé par la morale; une bonne politique n’est pas une politique bonne, c’est une politique gagnante, c’est une politique qui consolide les acquis et renforce le gouvernement. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde.
On le payait très cher parce qu’il savait voir les fils invisibles, sentir les vents dominants et décoder les sondages. Qu’est-ce qui fait une bonne politique ? Il existe mille grilles d’analyse. Les intellectuels et leurs lettres ouvertes avaient tout faux. Le législateur n'est pas guidé par la morale; une bonne politique n’est pas une politique bonne, c’est une politique gagnante, c’est une politique qui consolide les acquis et renforce le gouvernement. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde.
Il leva la main.
« Messieurs-dames ! S’il vous plaît ! »
Le silence se fit peu à peu. Le berger sait faire taire ses chiens.
« Vous serez tous d’accord pour dire que cette histoire a assez duré. Voilà des années que ce débat déchire le Québec. Nous avons promis à la population de trancher et il nous faut trancher. Il n’est plus question ici de démocratie, mais de satisfaction de la clientèle. Les sondages ont parlé. L’appui est toujours aussi fort en région, dans les circonscriptions qui comptent pour ce parti. »
Un murmure d’approbation s’éleva du groupe des députés. Voilà qui résumait parfaitement la situation. Depuis des mois, les sondages pointaient tous dans la même direction. La voie était tracée. Ce gouvernement avait été élu avec une majorité et celle-ci s’exprimait clairement : tant pis pour les autres. Une bonne politique a raison; il faut faire de ses opposants des chialeux et des marginaux : ils finiront immanquablement par prendre leur trou.
À une autre époque, les compagnies de tabac avaient compris le principe. Si les zones du plaisir du client sont excitées et que celui-ci en redemande, c’est qu’il est comblé. La satisfaction de la clientèle assure la pérennité de toute entreprise, qu’elle soit capitaliste ou politique. Le reste, y compris ce qu’on appelait encore dans ce temps-là les dommages collatéraux, n’a que bien peu d’importance.
Le premier ministre se leva et prit la parole.
« Je suis d’accord. Ça fait plus de dix ans qu’on discute. L’heure est aux décisions. L’approche que nous proposons est celle que souhaite une grande majorité des Québécois et des Québécoises. On nous a donné un mandat clair. Notre position est modérée. Il est temps de fixer des règles parce qu’au Québec, c’est comme ça qu’on vit. »
Les députés se levèrent en bloc et se mirent à applaudir leur chef. On flottait enfin dans une belle unanimité. Ça sentait l’adrénaline et la sérotonine. Un leader sait trouver les mots, un leader sait rallier ses troupes. Le conseiller se leva à son tour pour acclamer le chef. L’instinct politique de cet homme le surprendrait toujours : sans le savoir, celui-ci venait d’écrire le script de la cassette qu’il devra répéter dans les mois à venir. Les applaudissements se poursuivaient.
Pas de doute : ce gouvernement avait encore de belles années devant lui.