Je ne cours pas vite, ce n’est qu’un jogging, disons, juste assez rapide pour que derrière moi le passé remplisse à la même cadence l’espace ainsi libéré; je crois voler du temps à la vie, mais le temps avance à la même vitesse que moi, sans jamais me rattraper par ailleurs. Et devant moi, la vie qui rétrécit. J’ai essayé d’accélérer, une fois, mais peu importe mon pas, le futur se dérobe et le passé me rattrape.
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J’ai mûri cette idée longtemps, jusqu’à ce qu’elle devienne blette, puis que des drosophiles se mettent à tourner autour. J’ai fini par la jeter aux rebuts. Un peu plus de spontanéité ne me ferait pas de mal.
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Quand la Terre se met à tourner, mon vertige s’estompe, mais la brise produite par le mouvement de rotation me fait soudain grelotter. Je ne sais pas ce qui est pire, mais, allez, autant qu’elle tourne, ça lui fait quelque chose à faire, la pauvre.
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C’est un exercice de style. Un roman sans chapitres, sans paragraphes. C’est un roman sans dialogues, sans narration. C’est un roman sans ponctuation, sans majuscules. C’est un roman sans verbes, sans articles, sans conjonctions. C’est un roman sans épithètes, sans substantifs. Pour tout dire, c’est un roman sans texte. Un roman sans pages, sans reliure. C’est un roman sans titre. Un roman fantôme. On en dit le plus grand bien, saluant l’audace de son auteur ou de son autrice, on ne sait pas trop, puisque anonyme, bien entendu.
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Et le printemps survient brusquement et le soleil explose et nous bombarde de photons, on plisse les yeux, abasourdis, et on cherche le couvert en panique, on n’y comprend rien, il y a vingt-quatre heures à peine on flottait, hébétés, dans une glauque dystopie météorologique.