Ce rhume m’a frappé au moment où je m’y attendais le moins. C’était le matin, j’étais une sardine parmi d’autres dans le métro, et un rhinovirus en suspension dans l’air, probablement exhalé par un autre passager qui avait éternué quelques minutes auparavant, est entré dans ma narine droite. Il a trouvé dans mes fosses nasales un milieu accueillant où il s’est posé. Il s’est illico infiltré dans une cellule de mes muqueuses, qu’il a utilisée comme véhicule pour se reproduire. Voyageant et se multipliant d’une cellule à l’autre, il a peu à peu atteint une masse critique. C’est à ce moment, trois jours plus tard, alors que j’étais au bureau installé dans mon petit cubicule à pianoter sans enthousiasme sur le clavier de mon ordinateur, à pondre un document que personne ne lirait, il devait être quatorze heures environ, à ce moment, donc, que j’ai soudain senti une baisse d’énergie, un léger vague à l’âme accompagné de picotements aux yeux. J’ai alors su que le rhume avait frappé et je me suis fait une note mentale de ne pas oublier de passer acheter quelques boîtes de mouchoirs sur le chemin du retour à la maison.
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« C’est mon ami et je le connais depuis des années. C’est un homme intègre. Ces allégations sont complètement ridicules. »
Un mois plus tard : « Il est temps que le procès débute. Avez-vous entendu dans les médias les témoignages incohérents de ces femmes? Allons, tous ses amis savent qu’il n’aurait jamais fait de mal à une mouche. »
Un mois plus tard : « Écoutez, la justice suit son cours. Il semble que certaines rumeurs aient circulé à son sujet, dont je n’avais jamais eu connaissance. Il faut cependant respecter la présomption d’innocence. »
Un mois plus tard : « La justice a parlé et, malgré sa sévérité, je respecte le verdict. J’ai une pensée pour sa femme et ses enfants. »
Un mois plus tard : « Le mot ami est sans doute trop fort. Il est vrai que c’est une connaissance de longue date : j’ai travaillé avec lui pendant plus de quinze ans. J’ai été aussi surpris que vous d’apprendre ces histoires. »
Un an plus tard : « Pardon? Désolé, je ne vois pas de qui vous voulez parler. »
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L’ion négatif se dit que ça ne vaut même pas la peine de courir après la gazelle, elle est bien trop rapide.
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Et j’ai passé la porte et de l’autre côté, il n’y avait pas d’univers parallèle et je me suis trouvé un peu con parce qu’à les écouter, avec toutes leurs théories, leurs histoires, j’avais fini par y croire, ce n’était pas une certitude quand même, mais ça semblait crédible; mais non : quand j’ai passé la porte, de l’autre côté, il n’y avait qu’un autre côté de porte tout à fait normal, en tout cas s’il s’agit d’un univers parallèle, je peux vous dire que celui-ci n’a strictement rien de différent de celui dans lequel je vivais jusque-là, et plus j’y pense, plus au fond de moi un doute persiste : peut-être finalement ce roman fantastique dont je suis le personnage principal n’est-il qu’une formidable arnaque?
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Il fallait que je fasse ma part. J’ai donc à mon tour éternué plusieurs fois dans le métro bondé, je m’y suis mouché, j’ai aussi tripoté scrupuleusement les poteaux, les barres horizontales et les surfaces qui étaient à portée de la main. Plusieurs copies du virus ont ainsi pu trouver de nouveaux hôtes pour s’y multiplier et poursuivre leur propagation; après tout, ce pauvre petit rhinovirus ne demandait qu’à vivre.