13 décembre 2018

Pis, ton manuscrit? (S02E03) — Rencontre fortuite


(Au supermarché, Élène, une ex.)

        — Ah, bin, ah, bin ! Regarde donc qui qui est là !
        — Euh. Ah.
        — Ça fait longtemps qu’on s’est vus !
        — Ayoye.
        — Tu m’embrasses pas ?
        — Oui, oui. Ça va ?
        — Tu habites encore dans le coin ?
        — Oui.
        — Ah, bin ! Je viens de déménager juste ici, pas loin, sur le bord du parc. Dis-moi pas que tu restes encore dans le même appartement ?
        — Non, non, je me suis acheté un condo.
        — Le quartier a vraiment pas changé depuis le temps. À part qu’il y a beaucoup plus de Français. Sinon, c’est pareil.
        — T’étais pas rendue à Laval ?
        — Non, ça fait longtemps que je suis plus à Laval. J’y suis pas restée plus de deux ans. Ensuite, j’ai vécu à Québec une couple d’années, à Pont-Rouge une couple d’années, à Trois-Rivières une couple d’années, ensuite à Berthierville, puis à Repentigny.
        — Es-tu sur le programme de protection des témoins, coudonc ?
        — Hein ? Non, non, je suis juste malchanceuse en amour, je cré bin. Je déménage chaque fois que je change de chum.
        — Wow.
        — Le plus difficile, c’est de me refaire une clientèle quand je change de région. Je donne des cours de yoga chaud pis je suis coach de vie.
        — T’avais pas fait un bac en communications, toi ?
        — Ouin. J’ai fait du P. R. un bout de temps, mais je me suis rendue compte que j’étais surtout bonne pour faire mon propre P. R. Pour être coach de vie, il faut surtout avoir une grosse confiance en soi. Pis pour le yoga chaud, bin, ça prend juste une chaufferette.
        — Hum.
        — Es-tu avec quelqu’un ?
        — Non, oui, à temps partiel.
        — Oh ! Oh ! Monsieur butine ! Envoye, profites-en ! Je peux te dire en tout cas que dans le temps, t’étais pas terrible au lit !
        — Plus fort, la madame dans la section du sans gluten t’a pas entendue.
        — Non, mais, on était tellement jeunes, on était un peu sans dessein, c’est normal.
        — C’est pas le souvenir que j’en retiens, mais bon.
        — Ça me fait penser : quand on était ensemble, tu passais tes soirées à taper sur une vieille machine à écrire, tu rédigeais une espèce de roman. T’étais assez drôle! Tu fumais des Gauloises pis tu buvais du Pernod. Tu te prenais pour un artiste, mais les jours de semaine, tu étudiais aux HEC. Ha! Ha! Pis tu voulais rien savoir de me laisser lire tes brouillons. Pis, ton manuscrit ? As-tu fini par le finir ?
        — Oui.
        — Sérieux ? Il est publié ?
        — Non, pas encore. Je continue à l’envoyer à des éditeurs.
        — Wow ! Après toutes ces années ! C’est débile.
        — On peut dire ça, oui.
        — Je serais assez curieuse de lire ça. Faudrait bin se faire un souper, un moment donné. On pourra se raconter nos vies. Ça fait tellement longtemps !
        — Oui. Euh, excuse-moi, il va falloir que j’y aille, mon poisson va commencer à sentir.
        — Ha ! Ha ! OK. On va sûrement se revoir, maintenant qu’on est voisins !
        — Ouin.
        — Bon bin, salut, là, à la prochaine !
        — C’est ça. Salut. (Soupir) Caltore, je peux pas croire que je vais m’enfarger dans celle-là à tout bout de champ. Va falloir que je change de supermarché.
        — Bonjour, vous allez bien ?
        — Non.
        — C’est pour une livraison ?
        — Non.
        — Vous avez vos sacs ?
        — Non.
        — C’est à vous le rutabaga ?
        — Non.
        — Vous avez la carte du magasin ?
        — Non.
        — C’est payé comptant ?
        — Non.
        — Vous prenez la facture ?
        — Non.
        — Bonne fin de journée.
        — Hum.