13 octobre 2018

Passé simple (100) — Nostalgie




Je ne suis pas nostalgique. Je n’ai aucune envie de revenir à l’enfance. Il n’y a pas de bon vieux temps de l’enfance. Il n’y a pas de paradis perdu, de paradis originel pur et innocent à retrouver. Je ne veux pas redevenir ce petit être timide et introverti, celui qui échappe le ballon, celui qui n’a jamais eu envie d’avoir un animal domestique, celui qui fait sa petite affaire et laisse le monde autour de lui en faire autant, celui qui se réfugie dans les livres, dans sa bulle, celui qui ne sait pas mentir, celui qui ne comprend rien au monde des grands, ce garçon qui est à la fois premier rôle et figurant de sa vie. J’ai déjà été tout cela et je le suis encore, d’une certaine manière. Le temps passe. Je regarde devant, souvent pas plus loin que le bout de mes pieds, parfois vers l’horizon. L’enfance est si loin; je suis devenu quelqu’un d’autre. Tout bien considéré, s’il y a une partie de l’enfance qui me manque, c’est cette candeur, dont on a un capital immense à la naissance et qui s’évapore à mesure qu’on vieillit, à mesure qu’on acquiert une compréhension du fonctionnement du monde et des gens. Si j’avais un gramme de nostalgie à revendiquer, ce serait cette candeur perdue, qui a peu à peu été remplacée par un léger cynisme.


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J’ai regardé une à une les photos projetées à l’écran, mais j’ai aussi observé la poussière qui dansait dans le rai de lumière. Voilà que j’ai dépassé la dernière diapositive: l’image est toute blanche. J’éteins le projecteur. Pendant qu’il refroidit, je replie l’écran délicatement et vais le ranger dans le fond d’un garde-robe. Je glisse le carrousel dans sa boîte de carton. Je débranche le projecteur, enroule le câble d’alimentation sur lui-même, remets le couvercle de plastique sur le projecteur. Je replace tout ça dans une armoire. Je me rends dans ma chambre, hésite un moment, attrape un Tintin — Objectif Lune par exemple —, que je connais par cœur et que je vais relire pour la énième fois.


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