26 septembre 2018

Passé simple (94) — Survivant

À une certaine époque, cette larve a fait trembler le Québec (Source: Wikipedia)



Le hasard a voulu que je sois encore vivant plus de cinquante ans après ma naissance. Pour arriver à cet âge plus ou moins vénérable, il a d’abord fallu que j’échappe aux mille périls que l’humanité a connus au cours de mon enfance. En effet, pendant que je vaquais innocemment à ma vie d’enfant, le monde autour de moi frôlait quotidiennement la catastrophe; ainsi, à cette époque, mes contemporains et moi avons-nous survécu à la guerre froide, au marxisme-léninisme, à la menace nucléaire, à la crise d’octobre, à Pierre Elliott Trudeau, au colorant rouge E123, au dichlorodiphényltrichloroéthane (alias DDT), à la tordeuse de l’épinette, aux pluies acides, aux rayons UV du soleil, à l’essence au plomb, à plusieurs déversements pétroliers, au disco, à Patof, au Capitaine Bonhomme et, plus généralement, aux quétaineries du canal CFTM. L’humanité court constamment à sa perte, et ce, depuis la nuit des temps; l’épée de Damoclès au-dessus de nos têtes prend une forme différente d’une décennie, d’une génération à l’autre. La perspective d’un anéantissent imminent semble intrinsèque à l’expérience humaine. D’ailleurs, c’est immanquable : nous finirons tous par mourir. Dans le meilleur des cas, ça se passera conformément à notre destin astronomique : la Terre sera consumée puis avalée par le soleil qui se sera transformé en géante rouge dans, disons, cinq milliards d’années; ou alors, plus prosaïquement, nous nous ferons bouffer de l’intérieur par un cancer de la prostate.