Je me rappelle vaguement cette petite fille. Il me semble qu’elle portait des nattes brunes. Ça devait être en deuxième ou troisième année. Appelons-la Lili. Lili ne sentait pas bon. Elle dégageait une odeur assez forte pour qu’on la perçoive à une certaine distance. On faisait des blagues dans son dos, par exemple qu’elle ne se lavait jamais, qu’il fallait lui faire cadeau d’un savon. Les enfants sont innocents et méchants. Il est possible que la pauvre jeune fille ait subi de notre part ce qu’on appelle aujourd’hui de l’intimidation; je n’en suis pas certain. Elle était surtout rejetée et ignorée. Il y a fort à parier qu’elle passait ses récréations toute seule dans son coin. Lili vivait-elle dans une famille défavorisée? Ses parents la négligeaient-elle? Sans doute était-elle malheureuse. Un matin, alors que nous étions assis en classe, elle a uriné sur sa chaise. Une petite flaque s’est formée par terre. Les enfants ont-ils éclaté de rire? Sont-ils restés muets de stupéfaction? Se sont-ils lancé des regards obliques en chuchotant? Elle est sortie de la classe, penaude, en compagnie de la maîtresse. Je ne sais plus quand ni dans quelles circonstances, mais un jour Lili a disparu. Je ne crois pas qu’elle ait même complété l’année scolaire. J’aurais beau consulter mes vieilles photos de classe, ces photos prises annuellement, les enfants en rangées qui grimacent pour le photographe — j’ai toute une collection de ces clichés — pour tenter de vérifier si elle s’y trouve, je ne saurais pas la reconnaître. Qui sait ce qu’est devenue Lili?