16 juin 2018

Passé simple (69) — Manger (2)

(Source)



J’observe maman qui coupe des légumes pour une soupe. J’observe maman qui fait griller du foie de veau avec des tranches de bacon. Maman qui passe patiemment des pommes cuites dans le chinois pour en faire de la compote. Qui roule de la pâte. Me laisse lécher le crémage à gâteau sur les fouets du batteur à main. En saison, je l’aide à équeuter des fraises. Maman qui ne bronche pas quand je nappe son pâté chinois de ketchup, que je mélange le tout et que ça donne une boue rose et succulente. Toute la famille qui ronge des épis de maïs bien beurrés, bien salés, qu’on mange avec des concombres et des tomates des champs, tout ça acheté chez le maraîcher à Saint-Thomas-d’Aquin. Les beignes au sirop d’érable de la boulangerie Pinsonneault qu’on passe parfois chercher en revenant de la messe, qu’on rapporte dans un sac de papier kraft taché de cernes d’huile. Et les produits industriels chéris : Pop-Tarts, gaufres Eggo, mélange à boisson en poudre Quick (au chocolat et à la fraise), guimauve à tartiner en pot, préparation de fromage jaune-orange sous diverses marques de commerce. À l’automne et dans le temps des Fêtes, maman qui fait des réserves et remplit le congélateur et la dépense : compote de pommes, de citrouille et de rhubarbe, marinades sucrées aux concombres, ketchup au maïs, pâtés à la viande (qu’on appelle tourtières), tartes, carrés aux dattes, biscuits, etc. J’ai un souvenir particulièrement vif de tout cela; la mémoire de la nourriture est durable parce qu’elle prend racine dans les tripes.