13 juin 2018

Passé simple (68) — Manger (1)

(Source)



Ce sont les archétypes parentaux traditionnels qui le veulent : à la maison, maman est désignée d’office aux fourneaux. Tous les jeudis soir, maman et papa vont faire l’épicerie et achètent toutes les denrées nécessaires pour nourrir la maisonnée pendant une semaine, sauf le lait, que le laitier vient livrer quotidiennement à la maison. Maman prépare tous les repas. Elle y va de mémoire ou s’aide de recueils de recettes, tels que la Nouvelle encyclopédie de la cuisine (Édition Deluxe) de Madame Jehane Benoît, un classique de l’art culinaire domestique québécois, le Grand livre de la cuisine de Pol Martin, sa cuisine française, un livre Campbell’s dont toutes les recettes exigent l’utilisation d’une conserve de soupe de la marque, ainsi qu’un scrapbook dans lequel elle collige des recettes en vrac, découpées dans des magazines ou transmises par des connaissances. Jambalaya, bœuf Strogonoff, cari aux œufs durs, côtelettes de porc dans la sauce VH, jambon à l’ananas, chili con carne, bœuf bourguignon, spaghetti : maman pratique une cuisine ménagère qui n’a pas peur de l’éclectisme, une cuisine de son époque, celle où les produits de l’industrialisation alimentaire américaine envahissaient les épiceries, celle où le choix de fruits et légumes frais était pour le moins limité, celle où le Québec, en cuisine comme dans bien des domaines, avait un grand besoin de se déniaiser. Parfois, maman trouve que la corvée des repas revient trop vite, elle le dit tout haut : elle ne sait plus quoi préparer, elle a l’impression qu’on mange toujours la même chose. Pourtant, personne ne se plaint de ce qu’il y a dans son assiette, que chacun racle à qui mieux mieux.