Comment cela s’est passé, je ne saurais le dire. Mes parents nous ont-ils rassemblés mes grandes sœurs, mon grand frère et moi pour nous en faire l’annonce solennelle? Ma mère me l’a-t-elle appris seul à seul après en avoir informé les plus grands? Toujours est-il que, un bon jour, et avant que cela ne devienne apparent chez ma mère, on l’a su : on aurait bientôt un petit frère. Mes parents avaient alors dans la quarantaine et quatre enfants sur les bras, dont j’étais le plus jeune, à huit ans. À la lecture de la dernière phrase, peut-être vous permettrez-vous de douter des compétences de mes parents en matière de planification familiale; ce à quoi je répondrais que ce n’est pas de vos oignons, mais que, bon, d’accord, la question se pose peut-être. Peu importe. Mon petit frère était probablement un accident, mais ne le sommes-nous pas tous un peu chacun à notre manière? Les préparatifs se mirent en branle. On décréta quelle chambre accueillerait le nouveau-né — première à gauche dans le couloir —, on la décora de couleurs neutres — on ne savait pas encore le sexe du bébé — et on y installa le mobilier idoine. Bientôt, ma mère commença à avoir une bedaine. Je me rappelle d’avoir posé ma main sur le ventre arrondi de ma mère et d’avoir senti mon futur petit frère qui faisait du karaté à l’intérieur. Il y a des souvenirs qui subsistent parce qu’ils s’accompagnent d’une émotion. De ce moment, il n’y a aucune photo; je me rappelle pourtant ma mère assise dans le salon et moi qui mets ma main sur son ventre; un geste, un moment intime. J’avais neuf ans : ça me semble donc un souvenir fiable. Je ne sais pas dans quelles circonstances mes parents se sont rendus à l’hôpital pour l’accouchement. Mes grandes sœurs s’en souviennent-elles? Cela s’est-il passé à mon insu, pendant la nuit ou alors que j’étais sorti jouer? C’est à l’hôpital que je fis la connaissance de mon petit frère. C’est à l’hôpital que mes parents nous confirmèrent son nom. Enfin, il me semble, mais peut-être que les autres le savaient et qu’on me l’a annoncé à la dernière minute. À partir de ce moment-là, je n’ai plus été le bébé de la famille. Peut-être ne serai-je plus le dernier à apprendre les nouvelles.