28 mars 2018

Passé simple (53) — Vendeurs itinérants

(Source)



Jadis, certains biens de consommation ne s’achetaient que de vendeurs itinérants. C’était par exemple le cas des balayeuses. Les consommateurs ne se rendaient pas dans un magasin d’électroménagers pour se procurer une balayeuse. Non. Il fallait plutôt qu’un type un peu trop jovial vienne dans votre domicile vous faire une démonstration du plus récent modèle de la marque. Tout en récitant son boniment, il jetait nonchalamment sur votre moquette un tas de poussière, qu’il aspirait illico avec l’appareil et vous étiez tout impressionné qu’un seul passage de la brosse rotative fût nécessaire pour que votre tapis soit redevenu tout propre, sans doute plus propre encore qu’il ne l’était initialement, de rajouter le vendeur, qui vous invitait à signer un contrat de vente sans plus tarder. Il en était de même pour les contenants en plastique pour aliments. Un groupe de femmes au foyer du quartier se rassemblaient dans un sous-sol pour une soirée pendant laquelle un représentant de la marque venait présenter le catalogue des contenants en polyéthylène pour aliments offerts; il apportait quelques échantillons représentatifs, c’est-à-dire des contenants de diverses formes et leur couvercle idoine, tous destinés à conserver des aliments différents : sandwich, soupe ou ragoût, crudités, pointe de tarte, etc. On aurait tout aussi bien pu choisir dans un catalogue en papier et commander par la poste, mais puisque le représentant se déplaçait à la maison et prenait les commandes sur place, c’était bien plus pratique. Pourquoi ne se déplaçait-on pas plutôt acheter ces contenants chez un détaillant ayant pignon sur rue, je ne saurais vous dire. Enfin, en guise de dernier exemple, on n’allait pas non plus à la librairie lorsqu’on désirait faire l’acquisition d’une encyclopédie; pour cela, il fallait que par un mercredi soir comme un autre se déplace à la maison un monsieur stoïque en complet beige — on suppose que c’est l’idée qu’on se faisait à l’époque d’un homme lettré et aux amples connaissances — un monsieur avec une calvitie, des lunettes de cornes (quoique tout le monde alors portait des lunettes de corne), des rides dans le front, une voix grave, bref un tel monsieur venait présenter une impressionnante collection d’encyclopédies générales en quinze ou vingt volumes. On feuilletait un exemplaire, le volume 1 A-ASS ou le volume 13 PRA-ROY par exemple, on signait le contrat, on donnait un chèque substantiel et, quelques semaines plus tard, un livreur débarquait avec plusieurs dizaines de kilos de bouquins dans des boîtes de carton. Le savoir pèse lourd : vous aviez intérêt à avoir prévu des rayons assez solides.