21 mars 2018

Passé simple (51) — Médecine familiale

(Source de l'image)



Dans chaque maison, même dans les maisons où on a l’habitude de lire, il y a de ces livres qui ne sont que décoratifs, qu’on n’a jamais vu personne ouvrir, encore moins consulter. Ainsi en était-il chez nous d’un guide de médecine familiale qui a ramassé la poussière des années durant sur une tablette de la bibliothèque du bureau, tant à l’époque où celui-ci était installé dans un coin de la grande salle de séjour du sous-sol que lorsqu’il fut installé dans mon ancienne chambre, au rez-de-chaussée, première à gauche au bout du couloir. Ce livre inutilisé était d’autant plus inutile que nous avions à la maison un professionnel de la santé — animale, mais quand même — en la personne de mon papa, qui était médecin vétérinaire. Grâce à ses connaissances des fondements de l’anatomie et de la médecine, mon père savait nous ramancher au besoin. Cela dit, est-ce parce que nous étions des enfants sages ou peureux, est-ce simplement dû à la chance: personne à la maison n’a souffert d’une maladie grave ou ne s’est blessé sérieusement. On a tous eu la picote, bien sûr, peut-être la rougeole ou les oreillons pour les plus vieux, et le lot normal d’infections mineures, d’égratignures et de bleus. Et il y a aussi eu les verrues de mon grand frère. Pour ces verrues, mon père déployait volontiers son savoir médical. J’ai souvenir d’épouvantables séances au cours desquelles il brûlait les verrues de mon grand frère à l’aide d’un machin électrique, sans doute un appareil qu’il avait apporté du travail, sans doute un appareil spécialisé dans la cautérisation. Pour mon père, il s’agissait, je crois, d’un projet de bricolage domestique comme un autre, comme lorsqu’il réparait la plomberie de la maison ou qu’il nettoyait l’humidificateur. Pourquoi aller chez le docteur quand on peut régler le problème soi-même? Je ne sais pas si mon frère a gardé quelque traumatisme de ces interventions, mais, lorsque je repense au bruit électrique et à l’odeur de peau grillée, j’en ai la chair de poule. Dieu merci, je n’ai jamais eu de verrues.