Tous les jours, enfant, j’ai parcouru sur toute sa longueur l’avenue Saint-Germain pour me rendre à l’école primaire. C’était une rue pas très longue: sur mes jambes de petit garçon, le trajet devait me prendre une dizaine de minutes tout au plus. Pour cette raison, et parce que maman était femme au foyer, je revenais dîner à la maison tous les midis. Deux allers-retours quotidiens, donc, automne, hivers, printemps. En octobre, je marchais dans la rue le long de la chaîne de trottoir et je poussais les feuilles mortes avec mes pieds. Lorsque la température tombait sous zéro, à la fin de l’automne, je marchais dans les flaques d’eau à moitié gelées pour les faire craquer comme des crèmes brûlées (mais à l’époque, je n’avais jamais mangé de crème brûlée, je ne savais même pas ce que c’était). Après une tempête, je marchais au sommet des bancs de neige de part et d’autre de la rue, petit bonhomme en expédition sur la crête d’une chaîne de montagnes. Je kickais un morceau de glace et le transportais, coup de pied après coup de pied, de chez moi jusqu’à l’école. Par grand froid, je marchais la tête dans les épaules. Je marchais sans jamais piler sur les craques du trottoir (classique des classiques). Je marchais en compagnie d’un des amis qui habitaient sur la rue ou je marchais seul, perdu dans mes pensées d’enfant, ces pensées dont la nature m’est totalement inconnue aujourd’hui, des décennies plus tard.