12 février 2018

Passé simple (41) — Vinyles (3)

(Source: Wikipedia)



Je garde un très désagréable souvenir du soin maniaque avec lequel il fallait manipuler ces galettes de plastique pour préserver les délicats sillons de toute trace de graisse de doigts, de toute poussière et, surtout, de quelque égratignure qui viendrait parasiter la reproduction sonore. On avait beau faire attention, c’était inévitable, la musique se trouvait toujours accompagnée d’un concert de crépitements, de cliquetis et d’explosions saupoudrées au hasard et à contretemps, comme une section de percussion en pleine mutinerie. Le comble du désagrément était l’aiguille qui saute d’un sillon à l’autre, la musique faisant un bond dans le temps ou — pire — bégayant le même passage ad nauseam. Il fallait par conséquent éviter à tout prix que le bras de lecture ne glisse sur le disque et que la pointe de l’aiguille ne l’égratigne pour de bon. Une fois rayé, un disque était irrécupérable; la face défectueuse se voyait le plus souvent bannie à jamais. Par ailleurs, faire jouer une chanson en particulier, disons la troisième d’une face, exigeait de déposer la pointe de l’aiguille très exactement sur la minuscule piste intercalaire en s’assurant que les tremblements de la main ne causent pas une balafre dont on entendrait ensuite les effets jusqu’à la fin des temps. Je ne vous dis pas à quel point de suis heureux d’être débarrassé de la technologie désuète du disque microsillon que certains audiophiles passionnés, mais non moins masochistes, réussissent à faire survivre encore de nos jours.