— Pis, ton manuscrit?
— Parle-moi-z-en pas. Je suis hors de moi.
— Il faut pas que tu lâches. Ça va finir par marcher.
— Non, c’est inutile de tenter de me calmer. Je me peux pus.
— Bon. C’est quoi, là.
— Je me sens exclu, ostracisé, snobé. Je mets à la poste des piles de papier qui font trois kilos et on me retourne des lettres de refus d’une demi-page. Souvent par courriel. J’ai fini par comprendre que je suis victime d’une injustice.
— Hon, pauvre petit pit.
— Moque-toi pas. C’est que, vois-tu, je me suis rendu compte que tout le monde publie des livres : les chanteurs; les acteurs; les humoristes, qu'ils soient drôles ou non; les magiciens; les animateurs; les chefs cuisiniers; les journalistes; les chroniqueurs; les commentateurs; les zexperts; les politiciens, de droite comme de gauche; les porte-parole; les ex-criminels médiatisés; leurs victimes; les hommes d’affaires; les sportifs, en activité ou à la retraite; les anciens participants d’émission de télé-réalité; les auteurs déjà publiés, bien sûr; les artistes en général; les artistes has-been en particulier; les vedettes génériques, tu sais, ces gens dont on ne sait pas trop d’où ils sortent, quel est leur domaine de compétence, mais qu’on voit et qu’on entend partout à la télé, à la radio et dans les magazines. Tout le monde publie des livres, te dis-je, sauf les quidams. Les quidams qui envoient des manuscrits aux éditeurs.
— C’est parce que ce sont des quidams, justement. Mets-toi à la place d’un éditeur : tu as le choix de publier le livre d’une vedette ou celui d’un pur inconnu. Tu fais quoi?
— Je choisis la vedette.
— Voilà.
— On dit la même chose.
— C’est que tu n’as pas compris le concept du marketing. Les livres, c’est bien beau les publier, encore faut-il qu’ils se vendent.
— Je sais bien.
— Le marketing n’est pas seulement la responsabilité des éditeurs, c’est aussi aux auteurs à en exploiter les possibilités. Il faut que tu te fasses connaître. Il faut que tu deviennes toi-même une vedette.
— Mais encore?
— Par exemple. Habille-toi en linge de friperie, va te planter sur un trottoir achalandé avec une machine à écrire et compose des poèmes sur mesure pour les passants. Installe-toi dans la vitrine d’un magasin pour écrire ton roman; mieux : mets-toi tout nu. Écrit un livre au sujet de quelque chose de vraiment scandaleux sous la forme d’une autofiction : inceste, viol, meurtre, rien n’est trop hard pour générer de l’intérêt; n’oublie pas : autofiction égale autopromotion. Compose un roman dans Tinder en détournant la fonctionnalité de cette populaire plateforme de rencontre. Grave un poème à l’aide de la nanotechnologie sur un cube de sel. Écrit des aphorismes en sautant en bungee, en faisant de la plongée sous-marine, les yeux bandés, n’importe quoi, il faut seulement que ce soit spectaculaire. Dans tes écrits, mets-toi en scène, mets-toi en valeur : pour être une vedette, il faut se prendre pour une vedette, c’est la clé. Et surtout, surtout, n’oublie pas : annonce par communiqué tes stunts de façon à maximiser l’impact médiatique.
— Tout ça n’a pas grand-chose à voir avec la littérature.
— Les livres, c’est plate. Oublie la littérature. Fait de l’art conceptuel et des happenings. La littérature viendra ensuite.
— Bref, écrire, ce n’est pas écrire : c’est péter de la broue.
— Voilà! Tu commences à comprendre! Mais voici mon conseil le plus important.
— Je t’écoute.
— Garde ta job de comptable.
— Quoi?
— Garde ta job de comptable. Parce qu’écrivain, peu importe si tu te déguises en cloune, tu payeras pas ton loyer. Écoute, je sais de quoi je parle, je suis moi-même une vedette.
— Phoque. T’es vraiment trop cynique.
— En passant, voici mes factures du mois, pour mes dépenses.
— Merci, chère cliente, t’es trop fine.