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Pour faire mon intéressant, je pourrais m’inventer une enfance extraordinaire que je vous ferais passer pour authentique. Sous ma plume Saint-Hyacinthe deviendrait une ville enchantée habitée de personnages pittoresques. Je serais le chef d’une bande d’amis dont chaque membre aurait une personnalité stéréotypée : moi, le garçon intrépide par qui l’action arrive; Pascale, la fille sportive un peu garçonne; Simon, l’intellectuel introverti; et Ricardo, le petit gros à lunettes. Il y aurait un chat, aussi, ou un chien, non, un rat, c’est ça, un rat domestique : c’est plus excentrique. On se rendrait régulièrement dans un mystérieux magasin de bonbons tenu par une femme à l’accent bizarre et qui ne sourit jamais. On s’y procurerait des bonbons amers, des pilules de force et de la gomme ballonne Bazooka Joe. On ferait les quatre cents coups à l’école. Notre maîtresse de cinquième année, Madame Beauvirage, m’enverrait voir la directrice lorsqu’elle en aurait assez de mes facéties, parce que je serais aussi le bouffon de la classe. Dans la bibliothèque de l’école, derrière un classeur, on découvrirait un passage secret menant à la cave, là où le concierge aurait son atelier. On se lierait d’amitié avec ce concierge, un vieux monsieur à la jambe de bois, bienveillant et érudit. Suite à une enquête plus ou moins tirée par les cheveux, et aidés par notre ami le concierge, nous découvririons que la propriétaire de la boutique de bonbons est en fait une ancienne infirmière nazie, cachée au Canada depuis vingt ans. Cette intrigue permettrait d’ajouter une couche dramatique et historique à ce passé factice que je me construirais et auquel je finirais par croire. Pendant ce temps, mes lecteurs, captivés, suivraient ce feuilleton biographique assis sur le bout de leur chaise, mais en se désolant en même temps de n’avoir connu pour leur part qu’une enfance plate et ordinaire.