25 novembre 2017

En voie d’extinction

Hier midi, je suis retourné à mon comptoir alimentaire favori. Contrairement à mon expérience de la semaine dernière que je relatais ici, les choses se sont assez mal passées. Tout d’abord, la jeune femme qui a pris la commande de la dame qui me précédait l’a apostrophée d’un « Bonjour, hi » du plus mauvais goût. Pire : la dame a répondu en anglais. S’en est suivi un dialogue qui m’a, je dois le dire, passablement écorché les oreilles. J’ai pour ma part commandé en français, on m’a répondu dans cette langue et la bonne humeur, mais le mal était fait. Ce n’est pas tout. La jeune femme derrière le comptoir s’est soudain trompée et m’a demandé en anglais quelle garniture je désirais dans mon sandwich. Se rendant compte de sa méprise, elle s’en est tout de suite excusée, mais j’ai vu clair dans son jeu: c’était une tentative évidente d’assimilation.

Plus tard, alors que je grignotais mon sandwich pita aux falafels, j’ai remarqué qu’une chanson en anglais jouait dans le restaurant. Inutile de vous dire que mon dîner est passé de travers.

M’en retournant au bureau sous un ciel gris, tous les groupes de gens que j’ai croisés sur le trottoir discutaient dans la langue de Sheakespeare. J’ai alors dû me rendre à l’évidence: oui, en effet, le français perd du terrain à Montréal. En tout cas, il en avait manifestement perdu pas mal en une seule semaine, basé sur mon expérience.

D’ailleurs, pas plus tard qu’hier, les actualités nous révélaient — et de un — qu’un gérant de magasin avait dit dans le discours d’inauguration de sa boutique qu’il glisserait quelques mots en français par accommodement, ce qui a provoqué (à juste titre) une psychose nationale, — et de deux — que la vérificatrice générale du Québec rabrouait le gouvernement, décriant que la francisation des immigrants était, et je cite, « un fiasco ».

Chemin faisant, je sentais monter en moi l’amertume: la bile de la peur de l’immigrant se mêlait au fiel de la peur de l’Anglais. Mon identité identitaire de Québécois de souche se sentait mal dans sa peau. Je me suis remémoré les données récentes de Statistiques Canada qui indiquent que les Québécois se disant capables de soutenir une conversation en français étaient passés de 94,4 % en 2011 à 94,5 % en 2016. Et ensuite, ce sera quoi ? 94,6 % ? 94,7 % ? Vous voyez où tout ça nous mène ?

Lorsque j’ai regagné mon cubicule, c’est tout juste si j’avais encore quelques notions de français. J'ai fixé mon écran d’ordinateur, incapable de déchiffrer les menus francophones. Ficher ? Édition ? What the fuck !