22 juillet 2017

Félicité en grains



Sur le chemin du Lac, devant chaque entrée, une affichette indique le nom de la résidence ou des propriétaires. Je remarque une abondance de prénoms débutant par un G : Ginette, Ghislain, Gérard, Gaston, Germain, Gisèle. Peut-être est-ce moi qui vois des coïncidences où il n’y en a pas.

Il y a aussi un Martial et je me demande inutilement s’il a fait l’armée.

Je ne cours que quelques kilomètres, et péniblement; le soleil qui tape et le souvenir de la bouteille de vin de la veille causent une inexplicable augmentation de la gravité.

Le passage de chaque véhicule soulève un grand nuage de poussière et je retiens mon souffle un instant. Au royaume du pick-up, les gens qui font leur jogging sur le chemin du Lac passent pour de joyeux extra-terrestres.


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Le fromage en grains Perron frais du jour conservé comme il se doit à la température ambiante, sa texture caoutchouteuse, son goût salé et laiteux. Cet autre fromage à croûte lavée merveilleusement crémeux produit sur une ferme du coin. La bière de microbrasserie locale, vendue en format d’un demi-litre. Ce n’est pas encore la saison des bleuets.

Hier soir, on s’est fait un couscous. Tant pis pour le terroir.


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Les voyages au Lac Saint-Jean peuvent aussi être l'occasion d'un voyage dans le temps. 


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Dans sa partie la plus large, on ne voit pas l’autre rive du lac. On ne se sent pourtant pas à la mer. On a aménagé ici une plage de sable. J’ai lu quelque part qu’il y a au lac Saint-Jean de graves problèmes d’érosion, que l’Alcan a fait de grands travaux pour solidifier les berges. La propriétaire nous l’a aussi dit : ils ont amené ici des voyages de sables, le fond est doux, à part pour quelques roches.

Quelqu’un à Environnement Canada a su pour nos vacances : sur la plage, le soleil fait soudain place à de gros nuages menaçants.

La pluie ne dure jamais longtemps. De toute façon, on s’en fiche, on est en vacances.


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Lecture d’été. Le polar est plate et la semaine sans rebondissement parfaitement agréable.


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À l’heure de l’apéro, nous multiplions les recherches dans le web pour enfin identifier quel est l’oiseau qui pousse ce chant, un trille bref répété inlassablement, comme si l’oiseau reprenait vite son souffle entre chaque cri, qu’il appelait désespérément quelqu’un qui ne vient jamais. Ce gazouillis intermittent peut durer une demi-heure, une heure. L’oiseau est tout proche, mais invisible, bien caché dans les sapins près de la terrasse. Par hasard, et grâce à une requête comportant les mots « québec oiseau chant répétitif », je finis par découvrir le suspect : le viréo aux yeux rouges, un passereau verdâtre dont le souffle musical est inversement proportionnel à la taille.




Plus tard en soirée, je tombe dans Twitter sur un graphique qui montre à quel point on passe du temps sur nos appareils mobiles, statistique censée démontrer encore une fois à quel point ces dispositifs électroniques pourrissent nos cerveaux. Le graphique ne représente malheureusement pas tout le temps qu’on passe sur nos tablettes et téléphones à tenter de décrypter le chant des oiseaux. (Ou à écrire ce texte.)


Viréo aux yeux rouges (source: Wikipedia)


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En villégiature, les moteurs deux-temps abondent : hors-bord, motomarines, yachts, pontons, VTT à quatre roues. On appelle ça des sports motorisés sans aucune ironie. Il semble que pour certaines personnes, le concept de loisir soit associé à l’action de brûler de l’essence et de produire de la boucane bleue.


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Lecture d’été. Je passe du polar trop long traduit de l’anglais à L’Amant de Marguerite Duras. « Le son des nuits était celui des chiens de la campagne. Ils hurlaient au mystère. Ils se répondaient de village en village jusqu’à la consommation totale de l’espace et du temps de la nuit. » J’ai l’impression d’atteindre une oasis après avoir traversé un désert littéraire.


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Juste à temps pour les vacances :



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Dans la région, la coupe champignon est indémodable depuis au moins un quart de siècle. Les coiffures se transmettent comme les gènes; non pas entre les personnes qui les portent, mais bien entre coiffeuses et coiffeurs. Ainsi, l’art de la coupe champignon et le goût pour cette coiffure passent-ils de génération en génération dans cette région du Québec, pour notre plus grand bonheur.


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Quelqu’un à Environnement Canada a su pour nos plans d’excursion à vélo : il pleut ce matin. Ensuite, ça se dégage, mais plane une dramatique annonce de « VEILLE D’ORAGES VIOLENTS EN VIGUEUR ». Oui, oui, en majuscules.




Il y a finalement eu deux orages violents. Les majuscules n’étaient pas nécessaires, mais le pluriel, si.


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« Le vent s’est arrêté et il fait sous les arbres la lumière surnaturelle qui suit la pluie. Des oiseaux crient de toutes leurs forces, des déments, ils s’’aiguisent le bec contre l’’air froid, ils le font sonner dans toute son étendue de façon presque assourdissante. »


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Le temps s’égrène et on l’étire, on en sent l’écoulement qu’on tente de retenir en lisant des livres, le barrage du papier, les mots qu’on égrène un à un, la lecture, cette activité lente et silencieuse, si différente de la vraie vie, la vie d’avant et après les vacances.


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Les vacances sont meilleures loin de chez soi. On ferait les mêmes activités à la maison, ce serait l’ennui. Les vacances véritables sont à la fois un temps et un lieu autre.

La vie après les vacances, on y revient en passant à travers un sas, ces six, sept heures de route. Alors, on y est presque, on n’est plus qu’à une ou deux brassées de lavage du retour à la normale, à la vie ordinaire, à cette bonne vieille routine.



Saint-Félicien, juillet 2017
(Les deux citations sont tirées de L’Amant de Marguerite Duras aux Éditions de minuit.)