L’assemblée attendait. Le prêtre inspira profondément, se pencha sur le Livre Sacré et lut.
« C’était un paysan qui vivait avec sa famille dans un pays reculé et aride. L’homme piochait et érochait et labourait et semait et sarclait et désherbait et récoltait péniblement son champ, alors que sa femme s’occupait des quelques animaux et de leur unique enfant, un garçon en bas âge.
Un jour, d’au-delà des montages apparut un nuage d’une noirceur épouvantable qui remplit bientôt le ciel. Et le vent se mit à souffler. Voyant venir l’orage, le paysan et sa femme firent entrer les animaux et se réfugièrent dans leur demeure. Il fit bientôt noir comme la nuit et la tempête souffla avec violence, faisant trembler les murs de la maison. L’enfant pleurait, consolé par sa mère, elle-même en larmes. Le paysan guettait par la fenêtre, impuissant.
Cela dura des heures. Mais bientôt le temps s’apaisa et les nuages se dissipèrent.
Ils osèrent enfin sortir et découvrirent l’étable détruite, le troupeau massacré et les champs piétinés par le vent, la pluie et les grêlons. Voyant toute cette désolation, le paysan leva les yeux au ciel et s’écria : “Ô Dieu, voilà ma propriété anéantie, voilà ma famille sans moyen de subsistance. Pourquoi s’acharner sur nous, qui n’avons rien? Que nous vaut un tel châtiment?”
Et Dieu apparut et répondit : “Paysan, tu n’as pas à juger de mes actes et je n’ai pas à en répondre. Si tu crois en moi, tu ne douteras pas.”
“Ainsi soit-il”, répondit le paysan.
Dieu reprit la parole : “Homme, écoute-moi. Ton épreuve n’est pas terminée. Prends ton fils unique, amène-le dans les bois, va dans la clairière près du ruisseau et tranche-lui la gorge.”
Et le paysan obéit. La nuit suivante, il amena son fils dans la forêt, lui demanda de s’agenouiller près du ruisseau et, utilisant une grande hache, lui trancha la gorge. L’enfant fut pris de convulsions et mourut au bout de son sang.
Éploré, le paysan s’adressa aux cieux et dit : “Ô Dieu, j’ai tué mon fils unique, me rendras-tu maintenant mes terres et me laisseras-tu gagner mon pain?”
Et Dieu apparut et répondit : “Paysan, je n’en ai pas fini avec toi. Prends ta femme, amène-là au village et vends-la comme prostituée.”
Et le paysan obéit. Le lendemain, il emmena sa femme au village, se rendit au bordel et la livra aux proxénètes.
De retour chez lui, n’ayant plus de famille, désespéré de ses actes, le paysan s’effondra en larmes et implora de nouveau le ciel : “Ô Dieu, tu as voulu tester ma foi : tu as détruit ma ferme et à ta demande j’ai tué mon fils et j’ai fait de ma femme une prostituée. Quelle rédemption m’offres-tu maintenant?”
Alors, un éclair déchira le ciel et s’abattit sur la tête du paysan, et le paysan fut transformé en pierre. »
Le prêtre laissa la réverbération de cette dernière phrase mourir dans la nef. Les fidèles estomaqués le fixaient, en attente d’une conclusion. Mais il n’y avait pas de conclusion. C’était la lecture intégrale d’un extrait du Livre Sacré.
« Sur ces paroles empreintes de sagesse, mes chers amis, prions. »
Et ils prièrent.