Ces petites lunettes ridicules qui nous poussent sur le nez quand on devient vieux, certains les achètent au prix fort chez l’opticien (vous savez, celui qui vend les lunettes deux fois plus cher à deux pour le prix d’une), alors que d’autres se procurent le modèle économique au magasin à un dollar ou à la pharmacie; certains les portent avec une petite chaînette non moins ridicule qui permet de les retirer aisément sans les égarer, alors que d’autres se résignent à les chausser en permanence et regardent par-dessus les verres lorsqu’ils vous parlent. Dans tous les cas, ces petites lunettes ne vous donneront pas du tout un air sérieux — ha! ha! vous voulez rire — non, tout simplement celui d’un vieux croûton dont la vue baisse. On a beau faire du déni, mais passé quarante-cinq ans le monde devient de plus en plus flou et au fil des années, on doit éloigner de plus en plus le texte à lire pour qu’il demeure au foyer, ce qui cause un rapetissement progressif des caractères et on en vient à ne plus pouvoir lire du tout ces minuscules pattes de mouche à plus d’un mètre de notre nez. Il n’y a que sur l’ordinateur, la tablette et le téléphone qu’on peut tricher en grossissant la police de caractère, mais pour le texte imprimé, ce n’est simplement pas possible. Alors il faut les accepter, les petites lunettes ridicules, elles viennent avec l’âge, comme le sciatique qui coince, les cheveux blancs et les cernes sous les yeux : elles sont pour la vue ce que la canne sera un jour pour la marche.