21 juin 2015

La vie est un roman

À vingt ans, il écrivit le roman de sa vie en une fin de semaine, sans dormir ni manger. Un roman qu’il savait génial. Le monde n’avait qu’à bien se tenir.

À trente ans, il était encore à faire des révisions au manuscrit, incertain du ton, du style, du rythme. Les choses lui semblaient si évidentes dix ans plus tôt!

À quarante ans, il décida de tout récrire; ce manuscrit était parti sur de mauvaises bases : il se savait capable de mieux.

À cinquante ans, il avait bel et bien abandonné cette idée de roman. Il n’avait pas le talent. Il était probablement trop tard de toute façon.

À soixante ans, il écrivit quelques courtes nouvelles et deux, trois poèmes autobiographiques. Il tira beaucoup de plaisir de cette activité, qui n’eut cependant pas de suite.

À soixante-dix ans, en fouillant dans ses affaires, il tomba par hasard sur son manuscrit de roman. Il ne se reconnut pas dans ce personnage de jeune homme fougueux. Cette lecture le plongea dans une profonde mélancolie.

À quatre-vingts ans, la maladie le tirait peu à peu hors du monde. Il ne savait plus ni écrire ni lire. Il ne connaissait même plus le nom de ses enfants.

Après sa mort, en faisant le ménage dans ses affaires, ses enfants jetèrent au recyclage une liasse de papiers sans trop faire attention : le manuscrit abandonné du roman de sa vie.