8 mai 2015

Food court

Le food court représente parfaitement l'écologie humaine en ville : la version totalement désincarnée et artificielle du point d'eau dans la savane. Des citadins qui se regroupent par centaines, mangeant par réflexe, par instinct de survie. De la bouffe rapide, pas chère, purement fonctionnelle, des goûts tranchés, sans nuances, beaucoup de friture, beaucoup de sel, de la nourriture bonbon. On y afflue parce qu'il faut bien se nourrir. On y mange souvent seul. Le nez dans son assiette ou dans un journal. S'y côtoie toute la faune des tours à bureau : employés d'entretien, secrétaires, commis comptables, petits patrons cravatés. Tous ces gens, peu importe leur statut dans la hiérarchie corporative, réduits en ces lieux à n'être que des humains qui mangent, qui mangent tous la même bouffe formatée, de qualité médiocre.

Le food court est aussi un bel exemple de l'écologie commerciale occidentale. Au pourtour de l'espace où le public se nourrit, de petits comptoirs thématiques aux logos multicolores se succèdent : un Chinois, un Libanais, du fast-food, des hamburgers, du tex-mex, de la pizza, des paninis, etc. Malgré la fausse apparence de variété, pas une de ces échoppes n'est une entreprise indépendante : il ne s'agit que de franchises contrôlées par deux ou trois chaînes tentaculaires. Ce n'est donc pas pour rien que le couscous du Libanais goûte la même chose que le chow mein du Chinois.

Rien n'est plus triste qu'un food court. Sauf peut-être un food court vide à l'heure du souper, en semaine, alors que les occupants du centre-ville sont tous retournés chez eux. De petites tables et des bancs vides qui s'étendent à l'infini, de rares clients, un employé qui passe la vadrouille. C'est à cette heure-là que le faux verni de gaieté de toutes ces marques de commerce laisse voir ce que ce lieu a de sinistre. On remarque alors que les petites tables sont en mélamine graisseuse, que l'odeur mêlée de toute cette bouffe est écœurante et que les plantes n'ont l'air que de ce qu'elles sont : des plantes en plastique. On garde alors le nez dans son journal, on mastique et on avale, on tente d’oublier où on se trouve et ce qu'on mange, parce que manger n'est pas seulement un plaisir, c'est aussi en fin de compte une question de survie.