16 juillet 2014

À bout de souffle

Le cœur n’y est plus. Le travail. Le bagne. Les travaux forcés. L’été se déroule, dehors. Le chanceux. Je travaille. Je pousse la pierre en haut de la côte, je sais qu’elle va bientôt dévaler. À quoi bon. Oui, à quoi bon. Mes aspirations sont simples. Rester couché. Me lever tard. Ne pas prendre ma douche. Lire mon journal avec un petit café. Gosser un texte. L’envoyer dans la corbeille. Ou pas. Lire un livre. Lire un livre, oui, juste ça, quelques pages. Prendre le temps. Du temps improductif. Du temps de qualité. Du temps. Cesser de m’en faire. Tweeter une niaiserie. Gosser un autre texte. Le crisser à la poubelle, bien sûr, ou le publier dans mon blogue. Faire un souper élaboré pour ma tendre moitié. J’aspire à une vie simple, sans stress. Des journées sans montagnes russes, sans rebondissements. Être assis et lire un livre. Juste ça. Combien de temps passe-t-on à chaque jour de travail en distraction, à changer de contexte, à répondre au téléphone, à voir de petits machins apparaître dans le coin de l’écran lorsqu’on reçoit un courriel, tous ces courriels, ça n’arrête jamais. Je ne veux pas avoir l’air de me plaindre. Je sais que je fais partie des privilégiés. Je travaille à l’air conditionné, je fais des choses, j’ai des collègues qui font des choses avec moi, je suis un genre de petit patron, on ne se fait pas exploiter, pas de coups de fouet, rien, bonne paye, de quoi je me plains? Pourtant, mon ambition est fort simple aujourd’hui : j’aspire à ne plus rien faire. Ou presque rien : lire, écrire, courir, rigoler avec ma blonde. Est-ce trop demander? S’installer ailleurs qu’à la maison, voir du pays, oublier les corvées, oublier les factures, les obligations. Être ailleurs. Se relaxer le gros nerf. Surfer sur le Web pour rien, niaiser dans Twitter, pas question d’un endroit où il n’y aurait pas d’Internet, on en veut de l’Internet, calice, c’est les vacances, on peut-tu perdre notre temps sur Internet quelques heures sans avoir mauvaise conscience? Faire un jogging en plein mardi après-midi. Se coucher tard. Ça, c’est les vacances! Mais il y a tant à accomplir. Mon agenda est encore plein d’activités. Il faut continuer. Continuer. Casser de la pierre. Répondre à des courriels. Participer à des réunions, pondre des bouts de texte, produire des présentations PowerPoint, discuter avec des collègues, prendre des décisions, tout ça. On compte sur moi. Alors, demain j’enfourcherai mon BIXI, je dévalerai la côte Berri, sachant que je devrai la remonter à la fin de la journée, pauvre Sisyphe cycliste. Demain, je me rendrai au boulot, fidèle au poste, comme d’habitude, mais je n’en rêverai pas moins à ces quelques journées à venir, ces journées sans travail, les vacances, en moi il y aura l’espoir d’un lendemain meilleur, plus calme, l’espoir du rien, du vide, parce que c’est bien simple, à ce point-ci on a beau faire comme si de rien n’était, demeurer concentré, professionnel, le cœur n’y est plus, plus du tout, et on n’espère qu’une chose : qu’arrivent enfin — enfin — ces satanées vacances.