Ça prend une certaine dose d'audace et d'insouciance pour imprimer finalement ce maudit texte à double interligne, en Times 12 points, recto seulement, marges de 4 cm, accompagné d'une lettre de présentation et d'une courte bio, et de l'envoyer par la poste. Ça prend une tête de cochon ou un tempérament rêveur pour s'imaginer que ce paquet de feuillets couverts de mots puisse intéresser suffisamment ces gens qui ne nous connaissent même pas, pour qui on n'a aucune réputation d'écrivain, pour qui on est un parfait nobody. Au moins, je ne pourrai pas m'en vouloir de ne jamais l'avoir envoyé, ce christ de manuscrit, non, je ne pourrai pas avoir ce regret-là lorsque je serai (peut-être un jour) un vieillard.
Si on se fie à la légende, il faut soumettre un premier manuscrit à des dizaines et des dizaines d'éditeurs pour enfin avoir la chance – le privilège – de le voir être retenu pour publication. On dit que ce fut même le lot de bien des auteurs célèbres. On peut par ailleurs supposer que le processus est plus simple quand on est une connaissance personnelle de gens bien placés dans l'édition. En tout cas. Mon premier manuscrit n'aura survécu qu'à quelques envois avant d'être mis en pénitence dans un recoin de mon disque dur, victime de sérieux doutes. On verra bien ce qu'il adviendra de celui-ci.
Ça prend de la patience ou de l'innocence pour se prêter à ce jeu pour lequel il y a si peu d'élus. La page « Soumission de manuscrit » des sites Web de toutes les maisons d'édition sont conçues dans le but évident de vous décourager de soumettre le vôtre, de manuscrit. On veut s'assurer de modérer sérieusement les attentes des aspirants romanciers. On en vient à se sentir un peu ridicule d'avoir osé déranger avec nos petites histoires ces gens forts occupés à forger le patrimoine littéraire québécois. Qui suis-je pour prétendre à être publié? Je n'ai aucune lettre de noblesse, mon c.v. est exempt de toute trace d'étude en littérature.
L'écriveron du dimanche se soumet à toutes ces règles. A-t-il le choix? À force d'essayer, il réussira ou se découragera. Sinon, il sera toujours libre d'écrire ce qu'il veut et de le publier ici ou là dans le Web. Quoi qu'il advienne, l'écriveron du dimanche continuera d'écrire ses petites et moins petites histoires, convaincu que l'arbre qui tombe dans la forêt fait du bruit même s'il n’y a personne pour l'entendre.