« Cher journal...
— Oui?
— Pardon? Qui parle?
— Votre journal, bien sûr.
— Mais… Vous êtes vraiment là? Je croyais que j’écrivais pour moi-même.
— Évidemment que je suis là, dans quoi pensiez-vous écrire?
— Quand j’ai acheté ce cahier pour y entreprendre mon journal intime, je m’imaginais écrire pour moi-même et non pas entamer une discussion.
— Mais c’est vous qui avez commencé avec ce ‘Cher journal’. Je n’ai jamais rien demandé, moi.
— Votre présence me trouble. J’imaginais la pratique du journal intime plus intime.
— Écoutez, si vous ne voulez pas m’entendre, vous n’avez qu’à vous adresser à quelqu’un d'autre.
— Mais selon la convention, il faut écrire ‘Cher journal’, c’est comme ça, je n’ai quand même rien inventé.
— D’ailleurs, pourquoi écrivez-vous? Qu’avez-vous de si intéressant à dire?
— Je...
— Ah, je, je, je! Vous êtes bien de votre époque, vous, à tout ramener à votre petite personne! Quand ça ne relate pas dans le menu détail son emploi du temps dans l’Internet, ça écrit son journal intime!
— Bon, laissez tomber, cher journal, je n’ai plus rien à vous dire. Je crois que ce projet de journal intime était une fausse bonne idée. Adieu!
— Non, attendez! Je ne faisais que plaisanter! Non!… »
Elle referma le cahier et le jeta au recyclage. Elle repensa aux paroles de son cher journal: pourquoi écrire, en effet? Qu’avait-elle à raconter? Il ne lui arrivait jamais rien de spécial. Sa vie était sans histoire. Ainsi alluma-t-elle son ordinateur et passa le reste de l’avant-midi à folâtrer dans les réseaux sociaux.