23 février 2014

La Sérénité relative

        « Pardon, madame. Je cherche mon chemin. Je… je crois que je me suis un peu perdu…
        — Où vous rendez-vous comme ça ?
        — Au départ, ma destination était la Gloire et la richesse, mais j’ai l’impression de m’être égaré.
        — Oh, je vous le confirme. La Gloire et la richesse, ce n’est pas par ici.
        — Ah, non ?
        — C’est complètement dans un autre secteur, pour tout dire. D’où venez-vous au juste?
        — Des années soixante. Je croyais pourtant avoir suivi le bon itinéraire. Enfin, je ne suis plus tout à fait certain maintenant…
        — Attendez, je vais vous montrer sur la carte.
        — Oui.
        — Regardez, nous sommes ici. La Gloire et la richesse, c’est plutôt là.
        — Aïe, mais je n’arriverai jamais à m’y rendre…
        — En effet, ça me paraît assez improbable.
        — Pourtant, regardez, ça ici, c’est mon point de départ.
        — D’accord.
        — J’ai suivi ce chemin, comme ça, vers ici, puis…
        — Ah, je vois que vous avez fait Sciences au CEGEP.
        — Oui, je, j’avais, disons, un talent naturel. J’ai fait les maths enrichies aussi.
        — Hum. Vous savez, déjà, pour se rendre à la Gloire et la richesse, c’était loin d’être le meilleur chemin. Vous auriez probablement dû choisir Arts ou Communications, quelque chose du genre. Ça vous aurait probablement mené au Vedettariat régional, dans le pire des cas…
        — Ensuite, je me suis dirigé par là.
        — Mais vous avez bifurqué ici, c’est cela?
        — Oui, je m’étais inscrit à la maîtrise après mon Bac, mais j’ai abandonné avant la fin du deuxième trimestre. Je suis alors entré sur le marché du travail.
        — Ah, là, là. Vous étiez déjà loin de votre but. Voyez ensuite tout le chemin que vous avez fait, ce long segment sur une voie de service, et là, ces arrêts très fréquents, ces changements de cap. Voilà en gros ce qui vous a mené ici. Ne le prenez pas mal, mais il me semble que vous ayez roulé bien longtemps avant de vous rendre compte que vous étiez bel et bien perdu, avant d’enfin arrêter pour demander votre chemin.
        — Je me doutais bien que j’étais perdu, mais j’avais encore espoir de… Merde, je suis fichu maintenant.
        — Mais non, ne désespérez pas. Regardez : si vous poursuivez votre route dans cette direction, vous avez encore de bonnes chances de vous rendre à la Sérénité relative. C’est une belle destination, ça.
        — La Sérénité relative. Ce n’est pas la Gloire et la richesse mais, oui, je suppose que c’est un bon plan B.
        — Il y a aussi la Retraite peinarde dans ce coin-là, ça pourrait vous faire une autre option. Et puis, vous ne vous devriez plus vous perdre, voyez, l’itinéraire est tout ce qu’il y a de plus simple : c’est toujours tout droit.
        — La Sérénité relative. La Retraite peinarde. Toujours tout droit. D’accord. Merci d’avoir pris le temps de m’aider.
        — Je vous en prie. Et n’oubliez pas : toujours tout droit !
        — Oui, oui.
        — Allez, bonne route !
        — Au revoir. »

        Il repartit. La route était droite et plane, coupant au travers de champs en friche. Il activa le régulateur de vitesse à 100 km/h pile et roula un moment avant que la route ne s’enfonce peu à peu dans une forêt d’épinettes. Il entrait dans ce qui ressemblait à une contrée sauvage. Apparut bientôt un panneau indiquant : Prochaine aire de service dans 97 km.
        « Merde, dit-il. Je suis pas sorti du bois. »