26 janvier 2014

Dimanche 26 janvier 2014: 65 min @ 5:50

(Image: Wikipedia)


Je ne suis plus qu’un robot au service de mon programme d’entraînement. J’obéis à ses instructions sans réfléchir. Dimanche 26 janvier 2014: courir 65 minutes à 5 minutes 50 secondes le kilomètre. C’est ce qu’il faut accomplir aujourd’hui.

Il faut avoir confiance. Le programme a été conçu par un entraîneur professionnel. On imagine un type au physique athlétique, aux tempes grises, un gros chronomètre au cou, haranguant une bande de jeunes au physique filiforme qui s’échinent sur la piste. C’est lui qui a programmé l’algorithme. Il ne me reste qu’à l’exécuter. Mon corps doit s’habituer, se développer, devenir plus fort, plus habile, ce qui devrait, si tout va bien, me permettre de terminer une course de 42,2 kilomètres et des poussières dans les temps, c’est-à-dire l’objectif que je me suis fixé.

Je cours, rue Rachel. Des satellites gravitant autour de la terre émettent des signaux, captés par ma montre GPS, laquelle calcule en temps réel et affiche la durée de ma course, mon allure en minutes par kilomètre et la distance parcourue. Je jette un oeil à ma montre. 5:29, trop vite. Mon cerveau émet des ordres diffus à mes jambes. Je relâche un peu, presque imperceptiblement. Et ça recommence comme ça, lecture, ajustement, plusieurs fois par minute.

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Le système de positionnement GPS (Global Positioning System) fut d’abord développé pour un usage militaire, dans le contexte de la Guerre froide. Il est la propriété du Gouvernement des États-Unis et opéré par son Département de la défense. Le système GPS repose sur un ensemble de 24 satellites mis en orbite à partir de 1989 et initialement réservé aux usages militaires. À partir de 1996, le système fut ouvert aux utilisations civiles, en en limitant cependant la précision. En 2000, cette discrimination prit fin: la précision du GPS pour les usages civils passa alors de 100 mètres à 20 mètres. Diverses améliorations ont depuis été apportées au système, incluant l’ajout de satellites additionnels, plus modernes.

Les satellites émettent périodiquement leur position et le moment de cette mesure, selon une horloge atomique. Le récepteur GPS utilise les données reçue de 4 satellites pour calculer sa position. Il calcule d’abord sa distance par rapport à chaque satellite à l’aide du délai de réception du signal et de la vitesse de transmission des ondes radio, c’est-à-dire à peu près la vitesse de la lumière. Utilisant ces 4 groupes de données, il calcule ensuite sa position par triangulation.

Selon les responsables du système GPS, un récepteur peut de nos jours obtenir une précision de 3 mètres ou mieux horizontalement et de 5 mètres ou mieux verticalement et ce, 95% du temps.

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Poussé par le rythme de la musique, dopé par diverses hormones, je poursuis ma course. Il faut durer comme ça 65 minutes à vitesse à peu près constante: c’est ce qu’exige le programme aujourd’hui.

En continu, je perçois mille et un stimuli: les pieds, les muscles de mes jambes, les tendons, les articulations, le souffle, le niveau général d’énergie. J’ajuste ma course, à l’affût de sensations suspectes. Le coureur de fond développe une phobie des blessures: le tendon latéral du genou (bandelette ilio-tibiale), la plante du pied (fascia plantaire), le muscle devant le tibia (muscle tibial antérieur), pour ne donner que ces exemples, sont autant de monstres qui sommeillent en lui. Pourtant, courir est facile. C’est un geste inné. Il s’agit de se pencher un peu vers l’avant et de pousser le sol. Si le coureur de fond dompte assez rapidement son système cardio-vasculaire, cela ne lui prendra que quelque semaines, il sera par conte toujours confronté aux limites de sa mécanique: muscles, tendons, articulations. C'est le combat de l’homme contre la gravité terrestre. Pousser, avancer, durer.

Mis au défi par les éléments — les grands froids, le vent de face, toujours de face celui-là, la neige, la glace, les feux rouges — le coureur persévère. Ce n’est pas facile et il souffre un peu, évidemment, ça fait partie du concept en quelque sorte. Le coureur sait bien que la seule manière de repousser ses limites est un entraînement régulier, systématique, raisonné. Ça exige des efforts et des sacrifices. Le coureur de fond se doit d’être masochiste sur les bord et très têtu.

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Non, il n’y a pas de Dieu. Il n’y a pas non plus de magie. Mes performances n’ont rien à voir avec le fait que je lasse la chaussure droite avant la gauche. Elles n’ont rien à voir avec le fait que je porte mon t-shirt préféré, à un ange gardien, à ma foi en un dieu des marathoniens ou que sais-je. Mes performances sont essentiellement conditionnées par la génétique — je crois être relativement gâté sur ce point, étant grand et maigre — mais aussi, probablement surtout, par mes efforts, ma discipline, l’application systématique d’un programme d’entraînement éprouvé, de bonnes nuits de sommeil, une alimentation adaptée, la ténacité, une attitude positive : tout cela concourra à me donner la force de compléter l’épreuve.

Rue Rachel, je souffle, je sue. Je bats le rythme et égrène les kilomètres, malgré le froid. La musique dans mes oreilles, la répétition du geste, l’abandon, l’isolement méditatif. Je suis à la fois parfaitement humain et complètement animal. Je reproduis ce geste qui me relie à mes ancêtres les plus lointains, jusqu’aux origines de l’humanité, jusqu’aux primates, et au-delà, un geste simple et banal: je cours.

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(Sources: Wikipedia, http://www.gps.gov)