20 août 2013

Vierge 2

La terre est trop ronde. Le monde est trop grand. Je continue de le regarder par le petit bout de lorgnette et n'en aperçois pas grand chose: quelques centimètres carrés de paysage, des insectes qui vont et viennent à une vitesse folle, de petites choses qui grouillent, je peine à suivre l'action, à comprendre la chorégraphie. Je ferme les yeux. Les ferme fort. Et disparais. Que suis-je? Je suis le témoin aveugle d'un prodige, l'orateur muet sans public, l'archiviste analphabète, l'historien amnésique, le prospecteur du néant, le savant vraiment fou. Je suis le dernier coureur à franchir le fil d'arrivée, on me demande – est-ce compassion ou moquerie – si je me ne me serais pas perdu, mais je ne réponds pas, je suis sans voix, j'ai perdu le souffle, mon inspiration ténue, l'haleine d'un mourant, la brise d'une journée d'été sans nuage, le pauvre volume d'air déplacé par les ailes d'un papillon quelque part aux antipodes – oui, oui, ce papillon-là – mais sans que ces battements ne causent la moindre variation des conditions météorologiques où que ce soit dans le monde, seulement les ailes d'un papillon qui battent, qui dérangent à peine les molécules d'air autour de lui, et encore. Les yeux fermés, les années passent et je ne vois plus la lumière au bout de la page blanche, je ne vois pas la chute au bout du rouleau de papier engagé dans cette machine à écrire infernale, je tape, j'ai beau taper, rien à faire, les barres à caractère se coincent, le ruban encreur s'assèche, mes doigts se paralysent, mon esprit s'embrouille.

La terre est trop ronde. Ma vue est trop courte. Je ne vois même pas l'horizon. Comment pourrais-je raconter le ciel?