Avez-vous un peu de monnaie?
OK, cette fois-ci je lui donne une piasse
C'est un des nombreux quêteux du quartier
C'est un des réguliers
Souvent à la même place
Devant la SAQ
Je ne sais pas s'il me reconnaît
Mais je le croise tout le temps
Des fois je lui donne
Des fois non
J'ai parfois l'impression qu'on est voisin
Qu'on vit dans le même quartier
Mais qu'est-ce que j'en sais
Il n'a pas l'air complètement démuni
On a déjà vu pire, question itinérant
Peut-être son quêtage est-il surtout destiné
À la gent touristique du coin
Mais à la SAQ, je vais régulièrement
Ou je passe devant
Et parfois, je donne
Mais voilà
Ce jeudi-là, je croise mon quêteux
Un téléphone cellulaire à l'oreille
Oui, vous avez bien lu
Un quêteux, un téléphone cellulaire à l'oreille
D'accord, pas un appareil sophistiqué
Ni un appareil coûteux
Un truc en plastique qui plie
Mais quand même
Un cellulaire
Le voilà qui parle nonchalamment sur son portable
Rue Saint-Denis
Quelque chose cloche
On dit que c'est au Canada
Que l'utilisation d'un téléphone mobile est le plus cher au monde
Depuis quand les itinérants
Utilisent-ils un cellulaire?
Est-on rendu au point
Où notre société
Considère maintenant le téléphone cellulaire
Comme un bien de première nécessité
Comme un lit
Comme une télé
Ou comme un four à micro-onde
(Par exemple)
À cette vue, je fus bouleversé
Un téléphone cellulaire
Et quoi encore?
Combien se fait-on sur Saint-Denis
À quêter les passants?
Utilise-t-il un forfait en prépayé?
Combien ça coûte un forfait en prépayé?
Ce gars-là a-t-il vraiment besoin de mon argent?
Ce questionnement philosophique
Dura un moment
Et je me dis que
Peu importe les réponses à ces questions
Ça n'a pas d'importance
Devant la SAQ
Je le revois encore
Et quand je sors
Des bouteilles à la main
Habité d'un léger remord
Celui d'avoir les moyens de m'acheter du bon vin
Je continue à lui donner
Par intermittence
Une piasse
Deux piasses
Il peut bien posséder un téléphone
Je vais continuer à acheter du vin
Je vais continuer à rentrer chez moi
À embrasser ma blonde
À nous faire un petit souper
À m'effoirer devant la télé
(Un bien de première nécessité)
Je vais continuer à être un privilégié
Alors que sur la rue, des gens en arrachent
Et je vais me coucher
Dans des draps propres
Au chaud
Bin oui, ciboire, la vie est injuste
[En effet, cher lecteur, vous constaterez que ce n'est pas parce qu'on met des bouts de phrase les uns par-dessus les autres sans égard à la ponctuation que c'est nécessairement de la poésie.]