29 avril 2012

Biographie d'une image (ou Attention à cet emprunt c'est peut-être ...le vôtre)

L'histoire commence à l'été 2009, lorsque, pendant les vacances, je trouve enfin l'occasion de faire ce qui me trottait en tête depuis un petit moment : photographier le fameux panneau de signalisation québécois conçu par un (ou des) analphabète(s) et dont le texte se lit : « ATTENTION À NOS ENFANTS C'EST PEUT-ÊTRE ...LE VÔTRE », texte accompagné du dessin, ma foi, extrêmement dramatique d'un enfant qu'on devine être la victime récente d'un chauffard. La représentation de l'enfant, avec ces trous bizarres ressemblant à des éclats dans le verre dans son t-shirt et sa chaussette gauche à moitié retirée, ajoute à l'étrangeté du panneau; en plus, disons, de la syntaxe impossible, des caractères trop gros et de l'impression générale que laisse la chose d'avoir été conçue par un graphiste amateur. J'ai toujours bien aimé ce panneau un peu absurde, quoique bien intentionné. Bref, j'étais à pied, le panneau était juste là, à ma hauteur et, comble de chance, j'avais au cou mon appareil photo; je prends donc quelques clichés de la chose, me promettant de publier la meilleure dans mon blogue à la prochaine occasion.

Malheureusement, de retour chez moi, je constate que mes talents médiocres de photographe n'ont réussi qu'à  produire une série de clichés ratés. Je choisis tout de même la moins pire photo et la publie le 4 juillet 2009 dans mon blogue.


Tout en faisant le tri de ces photos, il me vient l'idée qu'il serait cocasse de relier ce « ATTENTION À NOS ENFANTS » aux causes des blessures du personnage qui se trouve dessous, laissant entendre que c'est ce qui pourrait arriver à la personne lisant l'affiche si elle ne fait pas attention aux enfants en question. J'entreprends donc de faire un montage à partir de cette photo. Je commence par produire une version bi-colore du panneau, tentant de restituer son apparence graphique et d'en éliminer les origines photographiques. Trois défis s'offrent alors à moi. Premièrement sur la photo, le panneau est légèrement de biais. Je dois en redresser la perspective. Ensuite, l'image est marquée de cicatrices, probablement suite à des impacts, où la peinture a été râpée. Je corrige donc l'image, remplissant les trous. Enfin, et c'est là le problème principal, une partie du corps de l'enfant est recouvert par le coin d'un autre panneau en losange, qui partageait autrefois un même écrou de fixation. Je dois dans ce cas faire preuve d'un peu de créativité pour tenter de reconstituer une partie du dessin original. Je fais cela du mieux que je le peux, mais mes talents de dessinateur ne valent guère mieux que mes talents de photographe et le résultat est très imparfait. Je conserve l'image ainsi nettoyée et restaurée avant d'entreprendre de la transformer en un version parodique. Puis, je tronque le texte, je dessine ce qui se veut un enfant ayant l'air particulièrement patibulaire (dans les limites de mes piètres talents en dessin), et je complète le montage. Bien que n'étant pas totalement satisfait du résultat, je me dis que ça passe quand même le contrôle de qualité et je publie le résultat le 21 juillet 2009 dans mon blogue.


Presque un an passe. Par un beau dimanche ensoleillé du mois de juin, assis sur la terrasse, je réfléchis à l'aspect plutôt rudimentaire des panneaux alors récemment ajoutés au portfolio du Ministère des transports et qui indiquent la présence d'un photo-radar (oui, il m'arrive d'occuper mon temps à ce genres de réflexions). Il me vient alors l'idée d'un petit texte qui expliquerait l'origine des panneaux au graphisme médiocre, soit le photo-radar et ce bon vieux classique de l'enfant écrasé. Je retrouve sur mon disque dur la version nettoyée du panneau ATTENTION À NOS ENFANTS, que j'inclus dans la note de mon blogue, que je publie ce jour-là, le 19 juin 2010.


Voilà en principe la fin de l'histoire. Mais lorsqu'on publie des choses dans le Web, bien qu'on soit totalement inconnu et anonyme, celles-ci n'en sont pas moins à la portée de tous les moteurs de recherche et par conséquent de tous les êtres humains équipés d'un ordinateur et d'une connexion Internet, c'est à dire pas mal de monde.

Ainsi ai-je découvert récemment que des personnes s'étaient appropriées mon image sans que je ne le sache.

En mars dernier, visitant comme je le fais régulièrement l'excellent blogue L'oreille tendue, qui s'intéresse à « la vie de la langue » comme l'indique l'auteur, quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître mon image, ainsi qu'une nouvelle version parodique, dans un bref article du 13 mars 2012.


Je reconnais tout de suite cette image comme étant la mienne. Pas de doute : le cadre tout croche, le bras rabouté : c'est bien là mon oeuvre (maladroite). Les mêmes détails se retrouvent dans la version parodique, qui fait référence à la répression policière des grèves étudiantes qui font l'actualité à ce moment-là (et qui ne sont toujours pas réglées au moment d'écrire ces lignes). En l'absence de toute note indiquant la source des images, je ne peux pas vous dire si cette nouvelle parodie est l'oeuvre de l'Oreille tendue où de quelqu'un d'autre. [Mise à jour du 2012-04-29 14h00] On me précise que l'image au policier aurait circulé sur Facebook plusieurs mois auparavant, et aurait notamment été publiée sur une page anarchiste. C'est donc sans doute une de ces images virales de source anonyme qui circulent dans le Web. Comme je ne fréquente pas Facebook, peut-être suis-je une des seules personnes au Québec à ne pas l'avoir vue avant...

Intrigué par l'apparition de mon image dans un site Web, je fais une petite recherche et découvre qu'une autre personne a repris mon image. Il s'agit d'un abonné au service Deviant Art qui semble constituer une collection de représentations d'enfants morts (ou quelque chose du genre... je préfère ne pas pousser les recherches). Il note en commentaire qu'il a quelque peu modifié l'image originale, mais je reconnais encore une fois les contours pixellisés et autres artefacts de mon cru.

[Mise à jour du 2012-06-08: Ah bin, coudonc, l'image a été retiré du site Deviant Art]

Il y a quelques jours, je découvre qu'un utilisateur de Twitter (en l'occurence @veromato) utilise actuellement comme avatar l'image parodique au policier, sans doute par solidarité pour la grève étudiante toujours en cours. Donc: nouvelle utilisation (bien qu'au deuxième ou troisième degré) de mon image.


Dans tous les cas, on s'est approprié une image tirée de mon site sans en indiquer la source ni me demander l'autorisation. C'est là pratique courante, me direz-vous et il n'y a pas matière à s'offusquer. Je répondrai que dans le cas de cette image, l'emprunt me laisse totalement indifférent. D'abord, ce n'est pas une création, c'est un panneau de signalisation, une image qui est à la base dans le domaine public. Ce n'est pas non plus une photo originale, mais une image que j'ai bidouillée et dont le résultat ne me remplit pas particulièrement de fierté. Par contre, c'est l'indication que n'importe qui pourrait aussi usurper d'autres éléments de mon site, en particulier des textes, ce qui aurait certainement l'heur de me fâcher. (Mais fort heureusement, mes écrits dans le Machin à écrire sont de facto immunisés par le peu de visites et d'intérêt qu'ils suscitent.)

Si je me fie au nombre de personnes qui aboutissent sur mon site à partir de mots-clés dérivés du texte de ce panneau, je ne doute pas que, tôt ou tard, d'autres copies ou réutilisations de cette image feront surface dans le Web.

Je demeure vigilants et promets de vous tenir  informés de la suite de cette histoire passionnante.