3 mars 2012

Du hockey et du féminisme

Des générations de femmes courageuses se sont battues pour que cessent la discrimination et l’exploitation sexuelle, qui furent le lot des femmes depuis les fondements de l’humanité. Et dans nos sociétés occidentales modernes, nous pouvons dire : mission accomplie. Bien sûr, il reste ici et là des zones de résistance et des comportements douteux, mais ceux-ci sont généralement identifiés comme étant des reliques d’une autre époque et dûment condamnés. Les femmes sont devenues des citoyennes à part entière, ont accès aux mêmes possibilités que les hommes; elles sont décomplexées, libres et volontaires. Oui, la femme moderne peut remercier ses aïeules révolutionnaires qui ont rendu possible, enfin, l’égalité des sexes et la saine banalisation de la condition féminine.

Ces pensées ont traversé mon esprit cette semaine lorsque j’eus le privilège d’assister au United Center de Chicago à un match de hockey professionnel dans lequel s’affrontaient les Blackhawks de Chigaco et les Maple Leafs de Toronto.


C’est que dans un sport masculin comme le hockey de la LNH, où la testostérone pisse littéralement par les pores de la peau des athlètes, ces hockeyeurs imposants, baraqués, tout en puissance, on peut déplorer le manque d’une certaine touche féminine. On a bien mis à l’essai il y a quelques années une gardienne de but, mais l’expérience, peu concluante, ne fut pas renouvelée. Peut-être est-ce dans le but d’arrondir les angles de cette masculinité tout en machisme que le football américain a pour sa part développé le concept et la culture des cheerleaders. Mais ces jeunes femmes triées sur le volet en fonction de leurs attributs physiques, auxquelles on fait faire de la gymnastique en petite tenue aux pourtours du terrain et qui ne servent au fond – n’ayons pas peur des mots – que de potiches et d’objets sexuels sont sans doute l’exemple parfait de ce contre quoi les féministes se sont battues, un cas patent d’exploitation sexuelle.

Mais voilà que les propriétaires des Blackhawks ont trouvé comment assurer l’apport bénéfique d’une présence féminine dans le hockey tout en évitant de tomber dans les pièges sexistes habituels.


Les matchs de hockey sont ponctués de pauses pendant lesquelles les télédiffuseurs présentent des publicités. On a en quelque sorte emménagé des moments où, sur la glace, dans la vraie vie, il ne se passe rien et le match s’arrête pour permettre qu’à la télé on puisse bombarder l’amateur de hockey de réclames de bière, de chaînes de restauration rapide et de véhicules automobiles sans que ledit amateur ne manque une seule seconde de son sport favori, amateur qui utilisera généralement ces pauses publicitaires pour aller se chercher une nouvelle bière à la cuisine ou évacuer la précédente aux toilettes. Dans l’aréna, les joueurs, eux, retournent au banc, recrachent de l’eau ou font les cents pas dans leur zone. Pour remplir ce temps mort, on en profite pour faire un petit travail d’entretien de la glace, question que les athlètes disposent d’une surface de jeu optimale. Or – et c’est là que ça devient intéressant – à Chigaco, cette tâche est prise en charge par une équipe formée à part égale d’hommes et de femmes. Les hommes, habillés d’un pantalon et d’un coupe-vent noir, chaussés de patins, sont munis de grattoirs à neige avec lesquels ils raclent la surface d’un côté à l’autre, poussant l’excédent de neige contre les bandes. Les femmes – enfin, disons les jeunes filles – également en patin, portent une mini-jupe, un chandail très court et des bas. À l’aide de pelles, elles ramassent les petites congères formées par ces messieurs et jettent cette neige dans une très mignonne brouette en forme de Zamboni miniature. L’une d’elles a également l’importante responsabilité de nettoyer à l’aide de sa pelle l’espace devant le but. Inutile de vous dire que cette équipe d’entretien a un très vif succès auprès des spectateurs du match (ou en tout cas la moitié des spectateurs).


Oui, des jeunes femmes actives, respirant la santé, qui s’activent vigoureusement aux côtés de leurs collègues masculins, des jeunes femmes modernes, qui ont un rôle actif et crucial pour le bon déroulement du match : voilà une image positive et égalitaire de la femme qui enchanterait celles qui se sont battues par le passé pour qu’enfin la femme moderne puisse être reconnue comme une citoyenne à part entière, égale de l’homme, fière et digne.