10 décembre 2011

Le purgatoire de la Twittérature

Ce matin-là, un auteur du samedi entreprit d’écrire une courte histoire à être publiée dans Twitter. Car en effet, cet auteur du samedi pratiquait à l’occasion ce qu’on appelle la twittérature. Il le faisait en toute humilité, conscient des limites de cette forme, conscient qu’il s’agissait à n’en pas douter d’un art mineur, peut-être même pas un art à proprement parler, mais en tout cas un artisanat tout ce qu’il y avait de plus respectable, qui méritait d’être écrit et qui méritait d’être lu. Une idée ayant germé ce matin-là, il commença à élaborer son texte, qu’il choisit cette fois-ci, coquetterie courante chez les auteurs pratiquant la twittérature, de composer en cent quarante caractères tout juste, soit le maximum permis par Twitter.

L’histoire allait ainsi. Une première phrase évoquait un personnage, simplement appelé « il » parce que de lui donner un nom de plus de deux lettres aurait impliqué une allocation trop généreuse de ces précieux cent quarante caractères autorisés. Cette première phrase évoquait le fait que ce « il » était en quelque sorte un enfant capricieux et que lorsqu’on lui refusait quelque chose, il piquait une royale crise. Ensuite, parce qu’il est important que les personnages soient dans l’action pour qu’il y ait récit, la deuxième phrase le mettait en scène se roulant par terre, battant des jambes, hurlant à plein poumon, les joues rouges et couvertes de larmes. Tout cela permettait au lecteur de s’imaginer un enfant auquel sa maman aurait refusé une friandise. Enfin, la troisième et ultime phrase scellait l’histoire en une chute inattendue : un nouveau personnage était évoqué, simplement appelé le banquier, lequel observait, médusé, le personnage sans nom piquer sa crise. Et ici, le lecteur était sensé se rendre compte que ce « il » qui se comportait comme un bébé gâté, ce « il » s’étant fait refuser quelque chose était dans une banque, et que par conséquent, la chose qu’il s’était fait refuser, c’était sans doute un prêt, parce que c’est bien le genre de chose qu’on se fait refuser dans une banque n’est-ce pas, et que ce « il » n’était donc pas un enfant mais bien un adulte, ce qui donnait toute son absurdité à l’histoire et cela ne manquerait pas, car c’était là l’objet du récit, faire sourire le lecteur.

Mais il y avait un hic. Il y avait même plusieurs hics, à vrai dire. Le premier problème était fondamental et sautait aux yeux : cette micro-histoire faisait plus de cent quarante caractères. Il était donc impossible de la publier dans Twitter. L’auteur avait eu beau trimer une bonne heure, à tenter divers angles narratifs, à jongler avec la syntaxe, à répertorier des synonymes pouvant traduire sa pensée en moins de mots, il n’était simplement pas arrivé à raconter cette histoire de façon à ce qu’elle se conforme à la contrainte rigide de la twittérature, qui est aussi celle de Twitter. Ainsi, après tout ce travail, notre twittérateur du samedi s’était essoufflé, il avait perdu l’inspiration ressentie initialement pour cette histoire, doutant carrément de sa pertinence et de sa qualité. Parce qu’en effet, à force de charcuter le texte, d’essayer d’en réduire la longueur, tout cela finissait par manquer cruellement de style, ne se résumait plus qu’à trois phrases disant par trop sèchement les choses, avec une syntaxe banale sujet, verbe, complément, bref ce texte n’avait pas les qualités requises pour se mériter quelque valeur littéraire ou, pire, pour qu’on en saisisse toutes les nuances et que tout simplement l’histoire fonctionne. Et c’était là enfin le dernier problème : l’auteur, après avoir tant trituré son texte, en était venu à douter que le lecteur réussisse à saisir de quoi il était question, que ce dernier se fasse bien duper à croire qu’on lui décrivait un enfant gâté pour enfin se rendre compte qu’il s’agissait en fait d’un adulte, il n’était plus du tout certain que le lecteur réussisse non seulement à décrypter le tableau mais surtout à en saisir l’aspect drolatique. Rien de pire qu’une blague ratée. Tous ces doutes s’additionnèrent en son esprit et il finit par conclure que ce projet d’histoire était une fausse bonne idée qui ne méritait pas qu’il s’y casse plus longtemps les dents.

Et, déjà, l’esprit de notre écrivain du samedi butinait d’une idée à l’autre, porté par le vent de l’inspiration. Ainsi laissa-t-il en plan cette histoire inachevée et passa-t-il à autre chose. Cette ébauche d’histoire, courte mais trop longue à sa façon, demeura quelques temps dans un fichier sur le disque de son ordinateur jusqu’à ce qu’un jour il l’élimine.

Ainsi va (ou non) la twittérature.